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Le statut de chauffeurs des applis : les États-Unis comme laboratoire Des zones grises à la reconnaissance d’un tiers statut

Résumé

L’article[1] étudie la mise en place d’un statut propre aux « chauffeurs des applis » aux États-Unis et montre comment ce statut marque l’avènement d’une nouvelle phase dans l’ubérisation. Les plateformes du travail location-based, avec Uber en tête, s’affirment désormais en quasi-législateur. Des projets de loi visant à introduire un nouveau statut de « chauffeurs des applis » sont actuellement en cours d’élaboration dans plusieurs États, avec une implication directe de la direction d’Uber. Ils s’inspirent de la Proposition 22 adoptée en Californie à l’issue d’un referendum populaire en 2020. L’article analyse la manière dont les plateformes instrumentalisent les « zones grises » des institutions étasuniennes, comme la voie référendaire, à leur avantage pour se positionner en décideurs politiques. L’institutionnalisation d’un statut spécifique et de travailleur indépendant pour ces travailleurs de plateforme avec la mise en place d’un système de négociation sectorielle occasionne des dissensions au sein du mouvement syndical étasunien, notamment concernant le renouveau syndical dans ce pays.


 


[1] L’autrice souhaite remercier les évaluateurs anonymes pour leur lecture fine et leurs remarques enrichissantes.

Introduction

La reconnaissance1 d’un statut propre aux chauffeurs de voitures de transport de passagers travaillant par l’intermédiation des plateformes numériques, marque l’avènement d’une nouvelle phase dans l’ubérisation aux États-Unis, où ces entreprises, avec Uber en tête, deviennent un véritable législateur. Depuis le tournant marqué par la Proposition 22 en Californie, adoptée à l’issue d’un referendum en 2020, des projets de loi visant à introduire un nouveau statut de chauffeur, inspirés par celui apparu en Californie, sont en cours d’élaboration dans plusieurs États, avec une implication directe de la direction d’Uber. Ces projets sont fondés pour l’essentiel sur la négation de la relation d’emploi salarié. L’expérience californienne, laboratoire du droit des plateformes depuis le lancement d’Uber à San Francisco, met en lumière ce nouveau modèle politique et son évolution au sein du marché du travail où la relation d’emploi a une signification particulière2.

Plus que dans tout autre pays occidental, aux États-Unis, le contrat du travail subordonné à l’échelle de l’entreprise (company based) se trouve au cœur des institutions de régulation du travail et de la redistribution sociale. Selon le droit du travail de ce pays, lorsqu’un syndicat représentatif est habilité à négocier au nom de ses membres, les salariés bénéficient d’une rémunération, des avantages et des droits élevés. Ainsi, toute remise en cause de l’emploi salarié risque d’ébranler les fondements de l’État social et du pouvoir syndical. Or, les différentes propositions de lois préconisent pour le « chauffeur des applis3 » un nouveau statut de travailleur indépendant basé sur la négociation collective sectorielle engagée avec de nouveaux acteurs en plus des syndicats traditionnels. Face à de tels bouleversements, le mouvement syndical est divisé. Pour certains syndicalistes cette forme de négociation ouvrirait la perspective du renouveau syndical.

Dans le propos qui suit, nous analysons cette problématique au prisme des zones grises du travail et de l’emploi4. Le concept des « zones grises » est en effet propice pour décrire les transformations du marché du travail au sein d’un espace socio-politique élargi. Le mobiliser dans le cas des chauffeurs VTC permet d’apprécier le degré de « disruption », terme promu par les plateformes afin de nommer autrement la perturbation profonde du marché du travail que vise leur stratégie néolibérale : une telle perturbation est censée aller jusqu’à la rupture avec les cadres de régulation du transport urbain, et surtout – c’est ce qui nous intéresse ici – du droit du travail. La question du modèle est donc posée, que ce soit le modèle du statut du travailleur ou celui du marché du travail en entier. Dans quelle mesure cette nouvelle organisation du travail parvient-elle à créer la nouvelle figure du travailleur ou à recomposer les normes qui définissent un emploi5 ? Ces tendances lourdes sont en cours, aux États-Unis mais ailleurs aussi, et il est important de prendre soin de les caractériser avec précision.

Dans une première partie, nous présentons le modèle de régulation du travail subordonné aux États-Unis, somme toute peu connu, afin de mieux comprendre le modèle d’Uber à l’aune de son rapport à l’emploi salarié. Ensuite, dans une deuxième partie, nous étudierons le cas de la Californie pour analyser la manière dont la direction d’Uber a pu instrumentaliser les zones grises des institutions économiques et politiques pour se positionner en tant que créateur, et quasi-législateur, d’une nouvelle figure du travailleur6. Enfin, dans une troisième partie, nous nous intéressons aux projets de lois qui soutiennent l’élaboration d’un statut spécifique pour ces chauffeurs et de ce fait contribuent à un déplacement de ce qu’on peut qualifier d’« ordre de régulation »7, à savoir une autre dynamique des zones grises de la régulation, selon notre hypothèse. En effet, dans les situations étudiées ici, la régulation du travail ne se décide plus dans le cadre de la négociation d’entreprise, selon les termes du contrat social étasunien, mais dans la sphère politique et, de surcroit, dans des conditions ambigües. À l’ombre de la Proposition 22, c’est dans les zones grises de l’espace public où de nouvelles parties prenantes s’avèrent être d’incontestables vecteurs qui déstabilisent les rapports sociaux-politiques traditionnels et, en dernière analyse, le droit qui les encadre.

L’importance particulière de la relation de travail subordonné dans les institutions du travail états-uniennes

La relation d’emploi salarié, dont la négation fonde le modèle d’affaires des plateformes numériques, a une signification particulière aux États-Unis. Le droit du travail de ce pays se caractérise par un système normatif fragmenté et décentralisé avec une réglementation fédérale minimaliste, une grande disparité entre les régulations appliquées dans les différents États fédérés et des moyens insuffisants pour les faire respecter dans leur ensemble. Dans ce contexte, s’impose la centralité du contrat de travail, du syndicalisme et des négociations collectives d’entreprise – là où elles existent – pour la redistribution des droits et des avantages (benefits). Aussi, la régulation du travail salarié aux États-Unis est intimement liée au rapport de forces sociales de chaque entreprise. Il faut noter que seul le salarié subordonné à temps plein jouit des droits syndicaux, peut bénéficier d’une convention collective robuste et donc d’une relation de travail dite « standard employment relationship » (qui renvoie au salariat en France). Ces réalités structurelles ne sont pas étrangères à l’antisyndicalisme patronal virulent dans ce pays8, auquel participent pleinement les plateformes de la Silicon Valley9.

Loin de constituer un ensemble cohérent, la réglementation du travail salarié aux États-Unis se caractérise par un enchevêtrement de normes, de dispositifs législatifs, de règles jurisprudentielles et de pratiques collectives héritées de périodes historiques successives obéissant à des logiques différentes10. Censée constituer le meilleur moyen de définition de conditions d’emploi, la négociation collective se trouve au cœur du système de protection des droits collectifs – Labor Law –. Selon la loi des Relations professionnelles (National Labor Relations Act, NLRA), dit Wagner Act de 1935), l’État s’est contenté de fixer un cadre juridique privé et décentralisé pour permettre la négociation de conventions collectives entre employeurs et syndicats représentatifs des salariés à l’échelle locale de l’entreprise. Ces conventions établissent les conditions de travail et de rémunération ainsi que deux types de prestations. Les premières relèvent des avantages complémentaires aux prestations fédérales minimales introduites par la loi pour la Sécurité sociale11, telles que les fonds de pensions qui s’ajoutent à la retraite publique – conçue comme minimum de survie –, des compléments aux allocations chômage et aux indemnités d’accident de travail. Les secondes introduisent des avantages supplémentaires, en commençant par le grand absent du programme fédéral, l’assurance maladie, les congés payés (annuels, maladie), le droit à la formation, etc.

Une troisième grande loi, qui s’inscrit dans l’héritage du New Deal, le Fair Labor Standard Act (FLSA, 1938), a fixé les standards fédéraux relatifs à la semaine de travail tels que le salaire minimum, la durée légale de 40 heures par semaine et le paiement des heures supplémentaires.

Avec le mouvement des droits civils, une réglementation légale du rapport individuel de travail entre un salarié et son employeur à partir des années 1960 – Employment Law – a été introduite ; elle a profité principalement aux exclus des droits collectifs12. Les grandes lois nationales se sont ainsi succédé, allant des droits civils au congé familial13. À celles-ci s’est ajoutée une jurisprudence portant sur la discrimination dite positive, l’Affirmative Action Law.

Dans ce cadre général du droit du travail des États-Unis – Labor and Employment Law –, les droits et protections ne s’appliquent généralement qu’aux salariés ou employees à temps plein, sous contrat à durée indéterminée, qui se rapprochent du « salariat » du droit français14. La figure de employee étatsunien mérite toutefois un certain nombre de précisions. Tout d’abord, sont exclus de cette catégorie et des droits statutaires qui s’y rattachent les travailleurs précaires, à savoir les travailleurs à temps partiel, à durée déterminée ou en intérim15. De surcroît, dans ce marché du travail fragmenté16, la figure d’employee varie d’une loi à l’autre, notamment en fonction du nombre d’heures travaillées et de la durée de l’emploi. Qui plus est, ces seuils sont facilement manipulables et ont été manipulés par les entreprises à mauvais escient17. Par ailleurs, les droits associés à la seule figure de l’employee ne s’appliquent pas, et ce par définition, aux travailleurs indépendants (independent contractors). Ainsi, seul l’employee couvert par une convention collective négociée avec un syndicat représentatif bénéficie d’une rémunération digne et d’une protection adéquate de ses droits18. Il convient de souligner que seuls certains employés bénéficient de droits syndicaux. En sont exclus les membres de l’encadrement, à partir du niveau du manager ou supervisor19, ceux dont les compétences en matière de gestion du personnel ne dépassent pas 15 % de leurs fonctions, ce qui exclut, par exemple, les infirmières en chef20. Le nombre de travailleurs aux États-Unis couverts par une convention collective négociée regroupe, en 2024, les travailleurs syndiqués (14,3 millions) et les travailleurs sans affiliation mais dont les emplois sont couverts par une convention négociée (1,9 million)21. Le total s’élève donc à 11,1% des travailleurs employés, légèrement plus que le taux de syndicalisation qui est de 9,9% en 202422.

Le caractère décentralisé du système des négociations collectives d’entreprise s’est vu renforcé aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale sous l’impulsion conjointe des syndicats, qui cherchaient à asseoir leur pouvoir de négociation, et des entreprises à l’affut de déductions d’impôts à la faveur des pensions et des assurances maladie privées23. Des réformes emblématiques à vocation universaliste – telle que l’assurance médicale pour les plus démunis, Medicaid, et pour les retraités, Medicare – ont vu le jour sous la Great Society de la présidence Johnson pendant les années 1960. Toutefois ces réformes n’inversent pas la tendance générale vers la décentralisation.

Il n’en demeure pas moins que durant plus d’une génération, après la Seconde Guerre mondiale, l’aspiration des cols bleus américains à accéder au niveau de vie de la classe moyenne – le « rêve américain » – s’est concrétisée grâce à ce « contrat social »24. Si le taux d’employees couverts par une convention collective n’a jamais dépassé 30 %, dans les années 1950, les gains substantiels obtenus par ce système de régulation au profit des salariés syndiqués ont eu un effet d’entraînement pour l’ensemble de la population active. La corrélation entre le nombre de travailleurs syndiqués et la part du PIB bénéficiant à 60 % d’Américains à revenu moyen, définis ainsi comme faisant partie de la classe moyenne, a été établie, tout comme par la suite, et dans le sens inverse, la corrélation entre le déclin du syndicalisme et le recul de la classe moyenne25.

Pour la juriste Veena Dubal, malgré la tendance à l’érosion des droits, et même pour les travailleurs qui ne bénéficient pas d'une convention collective négociée, la relation d’emploi salarié à plein temps représente aux États-Unis le principal rempart juridique et politique face aux inégalités et à la pauvreté. Il révèle, de ce fait, un enjeu majeur pour la démocratie. Parmi les prestations dont bénéficie le salarié, on trouve26 : le salaire minimum et le paiement d’heures supplémentaires au-delà des 40 heures par semaine, l’assurance-maladie (lorsqu’elle est fournie par l’employeur ou imposée dans certains États), un filet de protections sociales (comme les indemnités en cas d’accident de travail ou d’invalidité, d’assurance chômage), le droit syndical et le droit de grève qui donnent accès aux négociations collectives, ainsi que d’autres avantages attribués selon les États.

Le recours au « salariat déguisé » (misclassified employees) comme moyen de contournement de l’emploi salarié est une pratique récurrente aux États-Unis, et ce, dans les secteurs les plus variés, qui vont des professions intellectuelles et artistiques, aux artisans du secteur de la construction et aux travailleurs les moins qualifiés, comme dans la restauration, les gardiens d’immeuble, ou dans des secteurs visés par la déréglementation néolibérale à partir des années 1970 comme le transport routier. Près de 30 % des entreprises auraient recours à cette technique aux États-Unis. L’intérêt est d’éviter le paiement des cotisations patronales qui se situent à hauteur de 20 à 30 % du salaire brut environ, ce qui a comme conséquence de priver les travailleurs de leurs droits sociaux27. Le phénomène prend une nouvelle ampleur depuis l’avènement du travail numérique, avec en première ligne les plateformes dites « allégées » déployant une stratégie disruptive au moyen d’une « hyper-externalisation » des responsabilités d’employeur vers le travailleur par le recours à des travailleurs indépendants28. Les entreprises Uber, suivies de Lyft, n’ont-elles pas envoyé un message aux bailleurs de fonds en capital à risque29 en déclarant que leur modèle est incompatible avec l’emploi salarié30 ? Il faut y voir une dimension idéologique : les plateformes de la Silicon Valley reprennent à leur compte la croisade libertarienne des concepteurs du cyberespace, qui ont proclamé leur émancipation des cadres réglementaires nationaux dans la tradition de l’antisyndicalisme du patronat américain. Comme le déclare le cofondateur d’Intel, Robert Noyce : « rester non syndiqué est essentiel pour la survie de la plupart de nos entreprises »31.

Le pouvoir exécutif, incarné par le président des États-Unis dispose par ailleurs d’une marge assez large de pouvoir politique. Parmi ses prérogatives, le président nomme les membres du National Labor Relations Board, l’agence chargée du bon fonctionnement des relations professionnelles. Ainsi, grâce aux membres nommés sous la présidence Biden, plusieurs décisions du NLRB relatives aux élections de représentativité ont été favorables aux travailleurs, ce qui a contribué au succès de certaines campagnes de syndicalisation récentes32. Ceci n’a pas enrayé pour autant, les difficultés rencontrées par les syndicats au cours des procédures électorales organisées en entreprise en vue d’établir la représentativité syndicale, procédures qui s’avèrent globalement défavorables aux travailleurs33. Le président émet par ailleurs des décrets ayant trait au travail, comme celui introduit par l’administration Biden en janvier 2024 – entrée en vigueur en mars – qui remet en cause une règle de la première présidence Trump en matière de requalification des travailleurs des plateformes en salariés. La nouvelle règle a eu pour fonction d’atténuer le recours au travail déguisé par l’application des critères de subordination économique (economic realities test)34.

Ce panorama du cadre règlementaire du travail salarié aux États-Unis fait ressortir l’ampleur de sa fragmentation ainsi que la centralité de la relation de travail salarié comme enjeu économique, social et démocratique, ainsi que son rapport indissociable au syndicalisme qui constitue le socle de l’État social. Ces failles institutionnelles, de par leur instrumentalisation, deviendront la première arme des plateformes contre l’ordre établi.

I. Le modèle californien du « chauffeur des applis » dans les zones grises : la Proposition 22

Le terme d’« ubérisation » rend bien compte de la nouveauté du phénomène mis en place par l’entreprise Uber, conformément à une stratégie délibérée de sa direction. Même si ce néologisme est depuis quelques années au cœur des débats sur l’avenir du travail, on néglige parfois de mesurer à quel point l’expérience californienne est décisive dans la mise en place d’un nouveau modèle qui prétend s’imposer partout. Lieu de naissance du nouveau service, premier État à l’avoir réglementé, la Californie est le théâtre de nombreuses dynamiques politiques qui sont devenues caractéristiques de ce modèle d’affaires, telles que nous allons les analyser ici35. C’est en Californie que la direction d’Uber s’est mise en scène pour la première fois comme « faiseur de règles36 » ou quasi-législateur, parvenant à mettre en place une nouvelle figure de « chauffeur des applis ».

Nous aborderons le sujet au prisme des « zones grises du travail et de l’emploi »37. En effet, le prisme des transformations des normes au sein d’un espace socio-politique permet de jauger le degré d’aboutissement de la stratégie de « disruption » du travail engagée par les plateformes38, jusque dans les relations ayant trait au renouveau syndical39. L’étude de la régulation du travail à travers le prisme des zones grises passe d’abord par une analyse de « l’instabilité institutionnelle » qu’entraîne la plateformisation. Pour les chercheurs brésiliens, Sayonara Grillo et José Luiz Soares, qui ont développé cette notion par rapport à la situation dans ce pays et d’autres, si le néolibéralisme mine le cadre institutionnel national, plus ou moins selon le cas, sa capacité de nuisance est renforcée par l’avènement des plateformes40. Cette approche fait ressortir tout autant la résistance institutionnelle, notamment celle du pouvoir judiciaire, qui peut se dresser en rempart ou bien s’avérer, c’est le cas en Californie, incapable de produire un modèle de jurisprudence sur lequel d’autres juges pourraient s’appuyer41. Cette première perturbation sert de tremplin au déplacement des ordres et des espaces de régulation. Nous reprenons à notre compte cette notion développée par Josépha Dirringer qui situe le travail de plateforme au croisement de trois ordres normatifs : l’ordre social que nous élargissons au politique, régit par les institutions, l’ordre économique marchand, et l’ordre socioprofessionnel de l’action collective42. En Californie, la direction d’Uber a instrumentalisé la Proposition 22 pour déplacer le processus de régulation du travail du terrain du contrat social étasunien des négociations collectives privées, ancrées dans l’entreprise et administrées par des agences étatiques, vers la sphère politique : d’abord à travers la démocratie directe sous forme de référendum populaire, puis à travers la voie législative au sein du congrès des États fédérés. La troisième caractéristique des zones grises est l’espace public : le terrain du référendum populaire (Ballot Initiative) est en soi une « zone grise de l’espace public » où interviennent des nouvelles parties prenantes qui jouent un rôle dans la régulation du travail des plateformes à l’échelle des territoires, notamment43. Il en va d’un nouveau terrain de régulation du travail peu réglementé, qui s’éloigne du cadre de régulation tripartite, caractéristique du contrat social sous la forme qu’il prend dans un pays donné. En tout état de cause, en matière de régulation du travail de plateformes le rôle de l’État est clé : lorsqu’il accompagne, voire promeut l’émergence de cette nouvelle économie virtuelle au prix d’un affaiblissement des droits substantiels des travailleurs et ce sans offrir de protections alternatives, l’État participe à la création de zones grises44.

L’approche des zones grises appliquée de cette manière à la régulation permet de dégager des différentes tendances et les conceptualiser au sein d’un modèle dynamique et systématique d’ubérisation. Ainsi, dans un premier temps, la stratégie d’Uber a abouti à une véritable crise institutionnelle dans l’État de la Californie45. Celle-ci a commencé par un refus systématique du respect des injonctions des autorités publiques. Depuis son entrée sur le marché à San Francisco en 2010 dans la zone grise du secteur peu réglementé des limousines ou black car (l’équivalent des VTC en France)46 la stratégie de la direction d’Uber a consisté à développer son modèle d’affaires déréglementé de chauffeurs non professionnels, son service « low cost » Uber X – connu sous le nom de UberPop47 en Europe –, qui est resté son modèle de référence. La direction d’Uber a finalement eu gain de cause : malgré les injonctions des autorités, malgré les protestations des chauffeurs de taxi dont le niveau de vie s’effondrait, elle a réussi à faire de la Californie, en 2015, le premier État à autoriser l’existence d’un nouveau secteur presque entièrement déréglementé, reconnaissant l’existence d’entreprises technologiques de mise en relation des chauffeurs et des clients en réseau (transportation network companies)48. La direction d’Uber a néanmoins persisté à faire fi des décisions des agences publiques californiennes (tel que le Department of Industrial Relations…) qui reconnaissaient aux chauffeurs la qualité d’employees ayant droit aux allocations de chômage ; l’entreprise a également fait appel de manière systématique des décisions juridiciaires de première instance qui reconnaissaient aux chauffeurs la qualité de salarié. Les actions collectives entamées par les chauffeurs ont été contrecarrées quant à elles par le recours à des clauses contractuelles d’arbitrage qui avaient pour fonction de renvoyer les differends nées de l’exécution des relations de travail à un arbitre en vertu du droit commercial49. Cette pratique du recours à l’arbitrage a été validée par une décision de la Cour suprême des États-Unis de 201850, et a contribué à ce que l’action collective des chauffeurs soit affaiblie. Cette décision a également affaibli en même temps le précédent issu de l’arrêt Dynamex qui venait d’être rendu par la Cour suprême de Californie51. Cet arrêt avait introduit une grille de lecture de la situation contractuelle des chauffeurs fondée sur trois critères simples et pourtant exigeants. Ces trois critères, dits ABC, servaient à définir la catégorie de independent contractor (travailleur indépendant) tout en introduisant une présomption d’emploi salarié et en inversant la charge de la preuve. Il revenait ainsi à l’entreprise de démontrer l’existence d’une situation d’indépendance52.

Ce qu’il faut retenir de cette période, c’est l’instrumentalisation de la déstabilisation des institutions du travail par les plateformes pour créer un espace de non-droit, de véritables bastions de contre-pouvoir contre les systèmes de régulation du transport urbain et du travail, que nous qualifions de zone grise. Devant la gravité de la situation les acteurs traditionnels ont répondu par la voie législative. Or en réagissant ainsi, ils ont procédé à un déplacement de l’ordre de la régulation, des rapports administratifs et juridiques ancrés dans la relation d’emploi contractuelle, vers la sphère politique proprement dite, que les plateformes ont finalement réussi à tourner à leur avantage.

Avec la promulgation de la loi AB5 (Assembly Bill 5) en septembre 201953, les trois pouvoirs californiens (exécutif, législatif, judiciaire) se sont ligués contre l’offensive disruptive d’Uber. La loi a en effet procédé à la codification du test ABC de l’arrêt Dynamex tout en généralisant son application à tous les travailleurs et en la rendant contraignante. L’objectif était d’endiguer la pratique du salariat déguisé, très répandue dans l’État, en visant tout particulièrement les plateformes du travail numérique de mobilité. Signée par le gouverneur, la loi dite AB5 est entrée en vigueur 1er janvier 2020.

Face à ce consensus institutionnel et politique hostile à leur égard, les plateformes de transport des personnes et de livraison alimentaire ont riposté par la mobilisation, lors des élections générales de novembre de 2020, du mécanisme du référendum populaire (Ballot Initiative) qui octroie aux électeurs l’initiative législative. Sous l’impulsion des grandes plateformes – Uber, Lyft, DoorDash, Instacart, Postmates – la « Proposition 22 » a soutenu la création d’un statut de chauffeurs et livreurs des applis (transportation or delivery ‘network workers) dérogatoire à la loi AB5, approuvée par 58% de l’électorat de l’État54.

Le recours à cette procédure législative d’exception marque plusieurs déplacements, dont le premier est la création dans le marché du travail des États-Unis, d’un tiers statut travailleur. Ce nouveau modèle est calqué sur celui de l’employee instaurée par la loi AB5 afin de mieux la contourner. La promesse d’avantages supérieurs – 120% du salaire minimum – est néanmoins démentie par l’introduction d’un dispositif dit de « temps engagé », c’est-à-dire d’une prise en compte dans le calcul de la durée du travail de la seule durée de la course ou de la livraison, à l’exclusion du temps d’attente connecté, qui aurait été inclus dans le cadre d’un emploi salarié. La conséquence immédiate a été la révision à la baisse du niveau de l’ensemble des rémunérations et l’exclusion des droits afférents à l’emploi, comme l’accès au salaire minimum et aux heures supplémentaires, à l’assurance chômage, au remboursement des frais professionnels, ainsi que l’exclusion des avantages spécifiques, accordés par l’État de Californie, tels que les congés maladie et familiaux (Family Leave) 55.. Le « temps engagé » s’est ainsi affirmé comme le socle du modèle d’« hyper-externalisation » d’Uber.

Depuis lors, Uber a pris une posture de législateur, comme l’indique le titre de la Proposition 22 : « Drivers as Contractors and Labor Policies Initiative » (nous soulignons). Les pratiques d’influence exercées par le lobby fortement financée par les plateformes, combinées à d’autres pratiques d’intimidation musclées des décideurs politiques, sont désormais documentées56. Or cette fois-ci, c’est l’entreprise qui a dicté la loi. Si à l’origine le référendum était censé être un outil démocratique au profit des intérêts des travailleurs, l’inverse s’est produit lorsque les intérêts des grosses entreprises se sont ligués pour s’en emparer57. C’est le cas de la campagne pour la Proposition 22 : financée à hauteur de 240 millions de dollars, ce qui en fait le référendum le plus coûteux de l’histoire. Les plateformes ont bénéficié d’un avantage incommensurable sur leurs adversaires syndicalistes et leurs alliés, qui ne disposaient à peine que du dixième de cette somme58. Ce référendum a été un dévoiement de l’essence même de la démocratie directe, conçue par les réformateurs de l’ère progressiste au début du XXe siècle au nom de la volonté populaire, pour contourner l’influence politique disproportionnée sur les institutions représentatives dont les magnats de l’industrie jouissaient du fait de leur pouvoir économique59.

Les détracteurs de la Proposition 22 ont engagé une action en justice contre ladite proposition. Celle-ci est montée jusqu’à la Cour suprême de l’État sans en emporter le succès escompté60. La décision unanime de cette dernière, en date du 21 mai 2024, reconnaît la validité du statut de travailleur indépendant tel qu’il est défini par la Proposition 22. C’est donc un rejet de la plainte déposée par le syndicat des services SEIU61, qui avait contesté la nouvelle figure de travailleur non pas dans son acceptation ubérisée globale ou de par la démarche des plateformes, mais à partir d’un point juridique plutôt obscur : la légitimité dont dispose l’électorat de statuer par voie référendaire sur le droit du travail62. Pour l’ancien directeur du National Labor Relations Board, le juriste William Gould, il s’agit d’un recul important pour les travailleurs. L’expérience pointe la manière dont les entreprises peuvent « abroger l’œuvre de la Législature et miner les droits ouvriers au moyen d’une campagne couteuse et bien financée »63. Tout en rejoignant cette analyse d’ensemble, la juriste Veena Dubal, signale que l’État et les municipalités auront toujours la possibilité de réglementer certains aspects du travail de plateformes.

En fin de compte, la Proposition 22 s’est avérée être un cas d’école de la régulation dans les zones grises de l’espace public par de nouvelles parties prenantes64. Ce terrain peu réglementé était propice à l’emploi massif des moyens financiers et technologiques des plateformes qui ont pu procéder à l’amplification et à la systématisation de leurs pratiques d’influence, au service d’une campagne de désinformation aux proportions inédites : campagnes publicitaires à la télévision ou sur les médias sociaux, messages envoyés aux clients de l’application inondés d’« informations » créées de toutes pièces. Parmi celles-ci, on peut citer le portrait édulcoré de la nouvelle figure du travailleur de plateformes, l’idéologie du nouvel entrepreneuriat et de la sacro-sainte flexibilité, des menaces annonçant la perte de milliers d’emplois en cas d’échec de la Proposition 22, ou encore des sondages attestant que 70% des chauffeurs étaient en faveur de cette Proposition (résultat d’une enquête effectuée dans des conditions d’intimidation sur les applications du travail). La propagande antisyndicale n’était pas non plus en reste : selon cette campagne de désinformation, les syndicats ne cherchaient qu’à gagner de nouveaux membres pour leur faire payer des cotisations élevées65. Les messages ont été tellement brouillés qu’au moins 40% des électeurs ayant voté « oui », pensaient apporter un soutien à l’augmentation du niveau de vie des chauffeurs66.

De surcroît, la campagne électorale orchestrée par les plateformes autour de la Proposition 22 a pu compter sur le soutien actif de nombreux protagonistes, en commençant par d’importantes organisations de défense des droits civils. En effet, les promesses de la création d’emplois pour les populations éloignées du marché du travail et de services rendus à des prix accessibles à des quartiers non desservis par des taxis avaient consolidé la base communautaire des plateformes. Aussi, les plateformes se sont arrogé un pouvoir « infrastructurel67 » en s’affirmant comme acteurs publics suite à l’accord avec la ville de Dublin, près de San Francisco, où la municipalité a accepté de faire assurer des voyages individuels par des chauffeurs Uber pour pallier les manques de réseaux de transport public, permettant aux populations fragiles ou mal desservies d’atteindre le réseau du RER BART. Les plateformes ont par la suite renchéri en offrant des sommes importantes à des candidats aux élections politiques et des associations des minorités éthiques ainsi que par la constitution de coalitions de défense du travail indépendant comme Independent Work qui ont fait des campagnes ciblées auprès de ces populations, relayant souvent des messages élaborés par les plateformes elles-mêmes68. Ceci a duré jusqu’à ce qu’un scandale éclate et que la présidente de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) soit contrainte de démissionner au lendemain des élections, après que le Los Angeles Times ait révélé que son entreprise personnelle avait reçu une somme de 1,7 million de dollars grâce à son positionnement en faveur de certains referendums populaires, dont celui des plateformes69.

L’étude de cas d’Uber en Californie démontre l’intérêt heuristique de l’analyse par les zones grises. La conceptualisation des transformations du marché du travail comme objet d’étude permet de tracer, pas à pas, les perturbations entraînées par l’ubérisation et de mesurer la manière dont les plateformes les instrumentalisent pour imposer de nouvelles normes, voire formes d’emploi. L’entrée à la zone grise par ses dynamiques permet d’apprécier tout d’abord, la capacité des plateformes à retourner les failles institutionnelles à leur avantage. Ensuite, le déplacement de la régulation vers un terrain politique peu réglementé est le levier qu’elles véhiculent pour donner une légitimité à leurs pratiques d’influence, qui avaient été précédemment tant décriées. Ainsi, avec l’avènement des « chauffeurs des applis », nous assistons à une véritable mise en scène de la régulation du travail par les plateformes grâce à leur propre action normative, qui comprend le rôle d’autres parties prenantes dont la nature pose problème en termes de représentativité et de règles. On retrouvera les mêmes scénarios, décors et acteurs par la suite dans d’autres États, où ces différents aspects auront plus ou moins d’importance. Dans tous les cas, on ne peut que constater la difficulté des organisations syndicales traditionnelles à y faire face. Une vision d’ensemble de ces phénomènes permet de saisir la stratégie suivie par Uber vis-à-vis du cadre politique (institutions, décideurs, opinion publique) pour faire valoir ce que l’entreprise tient pour son bon droit.

II. Le « chauffeur des applis » pensé comme modèle à exporter

« Des millions de citoyens du Massachusetts, chauffeurs, passagers, contribuables, peuvent dormir en paix parce que la tentative de manipulation de la loi du Massachussetts par les PDG des grandes compagnies de plateformes numériques a été invalidée par la Cour suprême de l’État »70. Cette déclaration émise par la coalition « Massachussetts n’est pas à vendre » se félicite de la décision du 14 juin 2022 qui a invalidé l’organisation d’un référendum lors des élections générales de novembre en vue de l’introduction d’un nouveau statut de travailleur des applis selon le modèle de la Proposition 2271.

En effet, à partir de 2021, se déroulent dans le Massachusetts, comme dans d’autres États, des scénarios comparables : délibérations parlementaires sur des projets de lois visant à créer un statut de « chauffeur des applis » par voie législative, sous la menace explicite de la tenue d’un référendum populaire organisé par les plateformes. Il s’agit d’États à majorité politique démocrate, où le statut d’indépendants des travailleurs de plateformes n’est pas à ce jour établi – contrairement à ce qui se passe dans la plupart des États dits « rouges », à majorité républicaine – où les tribunaux et des autorités ont attribué des droits importants aux chauffeurs, jusqu’à reconnaître l’existence d’une relation d’emploi salarié. Les négociations ont eu lieu entre les élus et les plateformes es qualité, qui tout en prenant en compte le rapport de force socio-politique local par l’attribution de certains avantages, ont insisté sur le principe de la négation de l’emploi salarié et du droit de grève. Nous allons étudier ces processus dans trois États sous le prisme de l’expérience californienne. La mise en place d’un statut particulier de chauffeur de plateformes numériques, dans des conditions ambigües, a pour conséquence d’entraîner des dissensions importantes au sein du mouvement syndical aux États-Unis, et cela en vue des conséquences qu’il pourrait avoir pour revitaliser le mouvement syndical72.

À l’heure actuelle, seul l’État de Washington a promulgué une nouvelle loi votée par le législateur au congrès local. Cette loi de janvier 2023 témoigne ainsi de plusieurs déplacements de l’ordre de régulation du travail vers la sphère politique pour enfin permettre aux plateformes d’avoir le dernier mot.

A- La première loi légiférée : l’État de Washington

Entrée en vigueur le 1er janvier 2023 dans l’État de Washington, l’Expand Fairness Act, a introduit sur le marché du travail à l’échelle d’un État fédéré un troisième statut de travailleur73. Cette loi accorde aux « chauffeurs des applis » des avantages importants tels que le paiement d’une rémunération minimale pour chaque course, établie au même niveau que le salaire minimal – ce qui marque une augmentation significative pour beaucoup de chauffeurs dans l’État –, des congés maladie et familiaux, des allocations d’accident de travail (worker’s compensation), des allocations chômage, une procédure d’appel contre des déconnections abusives, un accès à la formation et à l’aide juridique74.

Le texte de cette loi est le résultat d’un compromis négocié entre les représentants d’Uber et de Lyft – les principaux acteurs du marché, et le Drivers Union, l’organisation représentative des chauffeurs qui – n’étant pas formellement un syndicat, puisque les travailleurs indépendants sont en principe privés de droits syndicaux – est affilié au syndicat des chauffeurs de camions (Teamsters Local 117)75. C’est cette organisation qui, avec le conseil municipal de la ville de Seattle, a mené, à l’instar de la New York Taxi Workers Alliance à New York, les luttes-phares en défense des chauffeurs contre l’ubérisation. L’ordonnance municipale de 2015, attribuant aux chauffeurs le droit à la négociation collective, a déclenché une bataille juridique qui a duré quatre ans en vue de son annulation. Cette bataille a été menée par les plateformes, aux côtés de la Chambre du Commerce des États-Unis, au nom de la loi anti-trust, l’entente entre les travailleurs indépendants étant considérée comme de la concurrence déloyale. Face à ces résistances, Seattle a, à partir de 2019, radicalement changé de vue pour devenir la première ville à attribuer des droits et avantages sociaux à des travailleurs n’ayant pas le statut d’employee. Ces acquis ont d’ailleurs servi de base à la nouvelle loi de l’État, qui permet à la ville de maintenir les dispositifs plus favorables (mais pas d’en introduire de nouveaux) 76.

D’aucuns dénoncent l’institutionnalisation du statut du travailleur indépendant, l’exclusion de tout recours à la requalification salariale et le dispositif du « temps engagé » comme base de calcul de l’ensemble des avantages sociaux des « chauffeurs des applis ». Le syndicat national des chauffeurs des camions, comme les instances locales et nationale de la centrale AFL-CIO77, ainsi que l’observatoire influant du droit du travail NELP (National Employment Law Project) vilipendent, dans une lettre adressée aux élus du Sénat de l’État, les plateformes. On condamne la campagne « bien arrosée » qu’elles ont mené pour modifier les lois de l’État et nier aux chauffeurs – qui sont en majorité des personnes de couleur ou immigrées – les droits et protections qui accompagnent le statut salarié au profit d’un « statut de deuxième classe » qui réduit les droits « acquis par des décennies de lutte » 78. Dans son témoignage lors des audiences parlementaires, le président de l’AFL-CIO du Massachussetts s’inquiète de la rapidité avec laquelle cette loi a été adoptée au moment où d’autres projets similaires sont en discussion dans d’autres États. Il craint que cette loi n'ait ouvert la voie au contournement des obligations patronales des entreprises de la technologie dans toutes sortes d’industries79.

Directement mise en cause, l’association des Drivers Union se défend : la loi accorde aux chauffeurs un niveau de rémunération et des avantages élevés, les plus élevés des États-Unis. Aussi cette loi sera, selon l’organisation mise en cause par les critiques, un levier d’organisation à travers l’ensemble de l’État80. Face à l’accusation d’avoir trahi sa posture de résistante, un dirigeant de l’organisation a répondu qu’elle avait « un flingue à la tempe », car sans ce compromis, les plateformes auraient organisé un référendum semblable à la Proposition 22 californienne81.

B- Le Massachusetts : le nouveau terrain de bataille

C’est désormais au tour du Massachusetts d’être le « terrain de bataille des lois sur le travail de plateformes numériques », annonce le New York Times82. De nombreuses initiatives – projets de loi, referendums à l’occasion des élections de novembre 2024 – ont été proposées de la part des différents camps, tendant à cristalliser des positions opposées. Elles ont contribué au rapport de forces en présence et au compromis qui a finalement mis en place un tiers statut pour les « chauffeurs des applis » dans cet État. Il faut souligner, concernant le cas du Massachusetts, que les différentes propositions en concurrence s’inscrivent dans la perspective d’une recomposition du modèle traditionnel des relations professionnelles aux États-Unis.

Une coalition, la Massachusetts Coalition for Independent Work, soutenue par les grandes plateformes – Uber, Lyft, Instacart, DoorDash83 – a proposé un référendum adjacent aux élections de novembre 2024 pour l’introduction d’un statut de travailleurs de plateforme – Massachusetts App-Based Drivers as Contractors and Labor Policies Initiative (Initiative du Massachusetts relative aux conducteurs des applis en tant que sous-traitants et politique de l’emploi) – dans le sillon de la Prop 22 de Californie. Il s’agit d’un statut résolument indépendant, assorti toutefois d’une rémunération minimale et de certains avantages84. Comme dans le cas de la Proposition 22, ce projet de référendum visait à court-circuiter une initiative publique, résultant d’un litige ayant trait à une demande de requalification déposée en 2020, dont l’audience était prévue au printemps 202485. La plainte ciblait le modèle d’affaires des plateformes qu’elle qualifiait d’« injuste car exploitant les travailleurs », selon son auteure, Maura Healey. Procureure générale de l’État à l’époque, elle est devenue, depuis 2022, gouverneure (démocrate) de l’État du Massachusetts86. Dans le même temps, à la différence de la Californie, les plateformes ont investi également le terrain législatif en soutien à un projet de loi formulé dans les mêmes termes.

Face à ces initiatives patronales, deux projets de loi en faveur d’un statut protecteur de « chauffeurs des applis » – Rideshare Driver’s Justice Bill – sont soutenus par des syndicats, et ce, pour la première fois. À l’origine de ces projets de loi, on trouve un syndicat local des services SEIU 32BJ, le syndicat des métallurgistes (IAM), ainsi que l’Independent Drivers Guild (IDG), une association de chauffeurs affiliée à l’IAM87. Ces syndicats ont soutenu en même temps un projet de referendum intitulé l’« Initiative pour le droit syndical et la négociation collective des chauffeurs des applis » (Massachusetts Unionization and Collective Bargaining for Transportation Network Drivers Initiative). En plus de la proposition d’un statut en faveur des chauffeurs, comparable à celui de Washington, et de l’acquisition de certaines protections normalement liées à la relation d’un emploi salarié88, l’Agence des Relations professionnelles (Massachusetts Employment Relations Board) serait chargée de mettre en place un système de négociation collective de branche (sectoral bargaining) entre les représentants des chauffeurs et les associations professionnelles des plateformes. Le dispositif comprendrait un « compte des droits portables » (portable benefit accounts), en ce sens que ces droits seraient cumulables et opposables à l’ensemble des plateformes concernées89. Par ailleurs, l’accès au droit syndical et à la négociation collective serait accordé aux chauffeurs indépendamment de leur statut, ce qui permettrait de parer aux conséquences des décisions de justice en cours et aux nouvelles règles fixées par le gouvernement Biden. Des projets de lois similaires sont en cours de discussion dans le New Jersey, la Pennsylvanie, le Vermont et le Wisconsin90.

Ainsi, le Massachusetts devait être, en novembre 2024, la scène d’un affrontement de référendums contradictoires. Un scénario de type Proposition 22 aurait pu avoir lieu : le référendum s’imposerait contre d’éventuelles décisions en matière de requalification des chauffeurs venant de lois promulguées au Congrès ou encore d’une décision de la Cour suprême de l’État. Comme en Californie, les différents camps ne jouent pas avec des armes égales en matière de moyens mobilisés. Surtout il faut compter sur l’apparition de nouveaux acteurs à la représentativité discutable. À titre d’illustration, la Massachusetts Coalition for Independent Work a été montée de toutes pièces par les plateformes91. Elle déploie un argumentaire commandé à des chercheurs à la solde des plateformes dont l’indépendance scientifique semble discutable92. En plus de la caisse de guerre de la campagne, les plateformes s’appuient sur de vastes moyens consacrés au lobbying et aux contributions pendant les campagnes électorales des élus de l’État, avec un net avantage au profit des candidats et élus démocrates93.

La présence d’un troisième camp vient compliquer la situation, consolidant les oppositions qui se sont manifestées lors du passage de la loi à Washington. Une large majorité du mouvement syndical – regroupant l’AFL-CIO, le syndicat des chauffeurs des camions (local et national), le syndicat national du transport, plusieurs syndicats locaux du SEIU, et une large coalition – nommée « Massachusetts n’est pas à vendre », celle citée au début de cette section – s’est opposée aux initiatives législatives et référendaires des plateformes ainsi qu’à celles en faveur d’une négociation sectorielle promue par les trois syndicats94.

Selon les portes-paroles de la coalition, « les entreprises doivent assumer leurs responsabilités légales d’employeur envers les travailleurs, les consommateurs et les contribuables à qui il revient d’assumer le manque à gagner en cas d’abus des plateformes. On ne laissera pas les entreprises de la technologie acheter la loi du Massachusetts comme elles l’ont fait en Californie ». Le site de la coalition donne la voix à des syndicalistes. Le responsable du syndicat de la construction explique ainsi que « laisser les plateformes déguiser le statut d’emploi serait une violation des lois de cet État, les plus protectrices des travailleurs aux États-Unis, au nom des intérêts des plus fortunés ». Une responsable du syndicat du commerce (UFCW) avertit que « c’est ce qui s’est passé chez les travailleurs des supermarchés en Californie qui ont vu leur niveau de vie baisser à partir du moment où le statut de salarié déguisé leur a été imposé »95. Le secrétaire général du syndicat national des chauffeurs des camions s’adresse aux législateurs pour éviter le déclenchement d’« une course au nivellement par le bas des normes du travail ». Parmi d’autres initiatives de l’époque, cinq sénateurs au Sénat fédéral et trois députés de la Chambre des représentants démocrates de l’aile gauche96, dont plusieurs du Massachusetts, ont envoyé une lettre ouverte au PDG d’Uber pour dénoncer les pratiques de qualification abusive et de manque de transparence par rapport à des conditions de travail dangereuses97.

En juin 2024, Uber et Lyft ont conclu un accord avec l’État du Massachussetts qui met fin au contentieux juridique pour la requalification salariale en cours depuis 2020. Cet accord comporte trois volets principaux : le paiement d’une rémunération minimale avec des avantages pour les « chauffeurs des applis », le paiement d’une indemnisation aux chauffeurs qui ont engagé le contentieux juridique98, et l’acceptation par les plateformes d’abandonner le referendum populaire prévu pour les élections de novembre dernier. Pour ce qui concerne la rémunération garantie, l’accord prévoit que les chauffeurs bénéficient : d’un montant correspondant à minima au temps engagé (c’est-à-dire au temps entre le moment où le chauffeur cherche le client et le moment où la course s’achève), augmentée d’un supplément donnant accès à l’assurance et aux congés maladie et familial ainsi qu’à une assurance d’accident de travail99. Les plateformes s’engagent à fournir plus d’informations sur les voyages et la rémunération du chauffeur, des protections contre la discrimination et les moyens de rétorsion (retaliation). Elles proposent par ailleurs aux chauffeurs un chat dans plusieurs langues avec une personne vivante100.

Si l’accord ne fait aucune référence explicite au statut du travail, comme l’explique le communiqué du congrès de l’État annonçant l’accord, il permet aux entreprises de « continuer à traiter les chauffeurs comme des travailleurs indépendants, avec des obligations en matière de traitement et de certains avantages »101. Il s’agit donc d’un tiers statut. Le porte-parole d’Uber Tony West y voit le modèle d’avenir du travail indépendant :

L’accord montre la voie de ce qui doit être le travail indépendant au 21e siècle. Nous sommes ravis de voir que de plus en plus de décideurs politiques soutiennent des cadres innovants, comprenant des droits portables, qui permettent d’améliorer le travail indépendant… un modèle d’équilibre entre avantages et flexibilité… montrant ce qu’il est possible d’atteindre dans d’autres États102.

Le nouveau statut propose aux chauffeurs les avantages les plus élevés qui existent à ce jour aux États-Unis, notamment en ce qui concerne les droits dits portables. Par exemple les heures de conduite effectuées pour le compte des deux plateformes distinctes sont désormais cumulables pour l’ouverture des droits. Leur situation reste néanmoins moins favorable que celle d’une requalification salariale, dans le cadre de laquelle, notamment, le temps d’attente aurait été comptabilisé et indemnisé.

Après s’être félicitée du haut niveau des avantages proposés aux chauffeurs, la procureure générale de l’État qui a négocié l’accord, a fait remarquer que celui-ci : « parvient à contre-carrer la menace brandie par les entreprises de vouloir réécrire le droit du travail de l’État par la voie d’un referendum en 2024, ce qui aurait donné lieu à un statut pour les chauffeurs doté de protections inadéquates et un traitement en dessous du salaire minimum »103. Cet aveu de la part d’une responsable gouvernementale rejoint pleinement notre propos quant à la signification du nouveau positionnement des plateformes dans l’arène politique, et l’instrumentalisation du processus référendaire comme levier d’influence sur la régulation du travail.

Dans le contexte précédemment évoqué, un seul référendum populaire a été soumis aux électeurs en novembre 2024 au sujet du travail de plateformes. Présenté par la coalition des syndicats SEIU et IAM, la Ballot Question 3 introduit le droit à la syndicalisation des chauffeurs (transportation network drivers), entendu comme étant des travailleurs indépendants, et le droit des plateformes (transportation network companies) de constituer des associations professionnelles. Ce projet de loi prévoit qu’à partir du moment où une organisation syndicale obtient la signature de 25% de chauffeurs, elle est reconnue comme étant leur représentant exclusif dans la négociation collective avec droit de collecter des cotisations. Ainsi ledit projet de référendum mandate l’État du Massachusetts pour mettre en place un système de négociation collective de branche dans lequel ces organisations devraient : 1) négocier des accords (sur la rémunération, les avantages et les conditions de travail), 2) vérifier leur conformité aux normes publiques et 3) procéder à leur application. Pour être valide, ce type d’accord devra être approuvé par au moins une majorité de chauffeurs ayant effectué au moins 100 courses pendant le trimestre précédent. Le dispositif mettrait également en place une commission pouvant statuer sur des pratiques de travail déloyales (unfair work practice), concernant aussi bien celles des chauffeurs que celles des plateformes104. La Ballot Question 3 a été approuvée par 55% des électeurs.

C- À New York : le modèle du dénouement

Bien qu’on retrouve les mêmes tensions dans l’État de New York, le projet de loi qui aurait introduit un troisième statut pour le « chauffeur des applis » et la négociation sectorielle a été avorté en raison d’un rapport de forces différent entre les acteurs en présence. La New York Taxi Workers Alliance (NYTWA), aux côtés de la centrale AFL-CIO dont elle est membre associée105, se trouve en première ligne de la défense des droits collectifs des chauffeurs des taxis et depuis leur apparition, des « chauffeurs des applis ». Cette alliance syndicale considère que la requalification salariale est la voie la plus porteuse pour lutter contre la précarité des chauffeurs et le modèle d’affaires d’ubérisation, mais elle ne perd pas de vue le terrain politique. C’est grâce à son action, en étroite collaboration avec les maires démocrates qui se sont succédé, que New York est devenue la première ville à imposer la limitation du nombre de véhicules VTC (en concertation avec les associations environnementales), à garantir l’accès aux allocations chômage pour les chauffeurs et, depuis le 1er janvier 2024, à assurer une rémunération égale au salaire minimum local.

Pour Bhairavi Desai, présidente charismatique de la NYTWA, le projet de loi sur la négociation collective « Right To Bargain Act » de 2021 était une sorte de cheval de Troie dans la mesure où elle entérinait le statut d’indépendant, sans droit de grève et excluait tout accès aux droits et protections obtenus auprès de l’État et de la ville106. Selon l’observatoire du droit du travail NELP, la promesse des « droits portables107 », n’était pas différente de celle de la Proposition 22. Elle s’est néanmoins avérée illusoire car de faible portée et difficilement accessible108. La baisse de la rémunération qu’ont connue les chauffeurs californiens depuis son application en témoigne109. D’autres critiques ont vu le jour : le projet de loi new-yorkais aurait privilégié un système de négociation collective sectorielle fondé sur un dispositif d’appréciation de la représentativité problématique dans la mesure où il aurait été taillé sur mesure pour favoriser une organisation spécifique110. Le dispositif prévoyait la reconnaissance comme représentant exclusif de la première organisation qui parviendrait à accueillir 10%, seulement, de signatures de chauffeurs111.

L’organisation devant en bénéficier est l’Independent Drivers Guild, association des chauffeurs affiliée au syndicat de la métallurgie (IAM-AFL-CIO). Fondée en 2016, en vue de négocier un accord avec Uber, cette association a permis l’expérience d’un forum de consultation privée. Elle a remporté quelques victoires significatives, comme par exemple la première procédure contre les déconnexions abusives112. Pour ses détracteurs, l’Independent Drivers Guild a été conçu pour contrecarrer l’influence de la NYWTA. Elle promeut la mise en place d’un cadre normatif soumis au joug d’Uber qui l’a constituée et qui continue à la financer, comme le rappelle régulièrement la presse et en particulier le New York Times. Ce cadre normatif attribue aux « chauffeurs des applis » des gains toujours en dessous du seuil d’une relation d’emploi salarié, en échange d’une renonciation au statut d’employee et au droit de grève113. En revanche, pour ses défenseurs, cette forme de représentation « réaliste », serait mieux adaptée à la gig economy, ainsi qu’à obtenir des avancées concrètes, contrairement à la chimère de la requalification vers laquelle tend la NYTWA sans jamais obtenir gain de cause114. Depuis lors l’organisation s’est établie dans quatre autres États, dont le Massachusetts en vue de l’organisation du referendum de 2024115.

Fin 2023, l’État de New York a négocié avec les plateformes Uber et Lyft des accords qui ont servi de modèle auprès des décideurs politiques du Massachussetts et d’autres États et municipalités où des initiatives législatives et des référendums sont à l’ordre du jour (dans la ville de Chicago, le Colorado, le Minnesota)116. Ces accords ont attribué des minima de rémunération, des allocations (congés maladie…), une information transparente au sujet de la rémunération, un droit de recours en cas de déconnexion, et la perspective d’un accès aux allocations chômage117. Le point crucial pour Uber tient à ce que les accords n’ont pas fait référence au statut des chauffeurs118. Le grand avantage de ces accords, selon le porte-parole d’Uber, est que les deux parties ont « dépassé le débat sur la nature du statut d’emploi ». En effet, les accords n’abordent pas le sujet. En revanche, pour les détracteurs de ces accords, l’indépendance y est implicite. Ils ont critiqué également l’adoption du « temps engagé119 » comme critère de référence pour la définition de la rémunération.

Conclusion

L’introduction d’un tiers statut pour les « chauffeurs des applis » fait son chemin aux États-Unis, notamment dans des États qui ont résisté à l'ubérisation. En attribuant un nombre limité d’avantages, Uber a adopté la posture d’un quasi-législateur sans jamais transiger sur la négation du statut salarié. Aujourd’hui le Massachusetts se trouve au centre d’un débat national relatif à la responsabilité des plateformes vis-à-vis des chauffeurs. L’accord entre les plateformes les plus importantes et l’État du Massachusetts met en place un statut de chauffeurs favorable à beaucoup d’égards, tout en entérinant l’indépendance et en excluant de fait la possibilité d’une requalification salariale. Dans la même veine, la Ballot Question 3, de novembre 2024, prévoyait la mise en place de négociations sectorielles entre organisations professionnelles représentant les « chauffeurs des applis » et les plateformes. Or, cette perspective d’une refonte du modèle des relations professionnelles aurait pour conséquence des dissensions importantes au sein du mouvement syndical.

La proposition d’un système de négociation sectorielle, portée par des syndicats, notamment le SEIU120, est promue par certains chercheurs, dont ceux de l’Université de Harvard, pour qui elle incarne l'émergence d'un nouveau droit du travail ou « New Labor Law »121. Selon eux, il faudrait saisir cette opportunité pour jeter les bases d’une nouvelle voie de syndicalisation ouverte non seulement aux travailleurs du numérique, mais aussi à ceux des services à bas salaire qui seraient pour eux de fait exclus des mécanismes du droit du travail établis par la NLRA. Preuve en est que la vague d’accords collectifs – appuyés sur des grèves que les États-Unis ont connues récemment – est réservée à des secteurs où les organisations syndicales traditionnelles sont bien implantées – automobile, santé, transports routiers – alors que les nouveaux secteurs qui s’engagent sur cette voie – tels que les salariés d’Amazon, de Starbucks, d’Apple, de Trader Joe’s… – rencontrent des obstacles quasi-insurmontables pour créer des syndicats et négocier des accords collectifs122. Pour ces auteurs, l’avènement de la négociation sectorielle s’inscrirait dans une perspective d'élargissement des relations professionnelles engagée depuis les mouvements sociaux dans les services à bas salaire à partir de 2012, sous le mot d'ordre « Fight For 15 et pour le droit à l'organisation syndicale »123. Cette perspective semble avoir porté ses fruits depuis la promulgation en 2022 sur le territoire californien, d’une loi qui établit au sein du département des relations professionnelles de l’État un « Conseil de la restauration rapide ». Cet organisme devra regrouper des représentants des travailleurs – couvrant plus de 500 000 travailleurs, pour la plupart, des femmes de couleur – et des chaînes de restauration rapide, en vue de la négociation de normes minimales applicables à l’ensemble du secteur concernant la rémunération, les horaires et les autres conditions de travail124.

D’autres syndicalistes et chercheurs tirent la sonnette d’alarme : selon eux, il faut éviter de tomber dans le piège d’une « pseudo-négociation de secteur » ou de se contenter de victoires à court terme, car les « raccourcis » ont toujours desservi au final les travailleurs et les syndicats125. Le présupposé de toute négociation de branche, telle qu’elle a pu exister aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale dans la sidérurgie, par exemple126, est l’existence de syndicats et de conventions collectives forts au niveau de l’entreprise. Il en va des racines du modèle étasunien dont fait partie l’alliance Liberal-Labor – cette collaboration entre les syndicats et l’aile gauche du Parti démocrate issue de l’époque du New Deal – qui avait permis aux élus de ce parti dans des États à forte densité syndicale de légiférer des lois progressistes. Les arguments évoqués par les détracteurs du projet de loi du Massachussetts vont dans ce sens. Leurs discours sont résumés par un dirigeant du syndicat des chauffeurs des camions pour qui le point de départ de toute action syndicale est la défense des lois en place car « les droits des travailleurs ne sont pas négociables, il n’existe pas de ‘troisième voie’ en la matière »127. L’introduction d’un nouveau statut minerait au contraire cette construction du pouvoir ouvrier ancré dans la relation d’emploi, entraînant la fameuse rupture que les plateformes appellent de leurs vœux. Ce qui explique la faiblesse actuelle du syndicalisme aux États-Unis est précisément la réticence des directions de l’AFL-CIO et des grands syndicats nationaux à s’engager aux côtés des campagnes de syndicalisation en cours dans les nouveaux secteurs, en consacrant suffisamment de moyens à l’organizing 128.

Le débat sur le renouveau du travail, des relations professionnelles et du mouvement syndical relaté ici, peut-il faire abstraction des zones grises qui caractérisent les conditions dans lesquelles il se déroule ? La constitution aux États-Unis d’un troisième modèle de travailleur est un cas d’école des zones grises mises au service d’une stratégie d’affaires qui vise à faire bouger les lignes des processus de la régulation, afin de permettre aux plateformes de jouer un rôle de quasi-législateur. Les mécanismes d’instrumentalisation et de normalisation de la démocratie directe comme instance de légifération du droit du travail ont porté un coup à la démocratie représentative. Il s’agit d’un déplacement vers l’espace public où l’argent fait la loi. Une multitude de nouveaux acteurs, dont les associations de chauffeurs financés par les plateformes, à la représentativité douteuse, sont mis en scène. On est loin de la loi Wagner qui faisait le choix d’organiser des élections de représentativité au sein de l’entreprise pour offrir un meilleur rempart contre les « syndicats jaunes », contrôlés par les employeurs, explicitement interdits par cette loi. Les mains sont désormais libres au patron d’Uber, Dara Khosrowshahi de proclamer, dès novembre 2020, la Proposition 22 comme modèle d’avenir et sous la houlette de l’entreprise : « … c’est une priorité pour nous de travailler avec des gouvernements aux États-Unis et à travers le monde pour y parvenir129. »

Quid de la refonte des relations professionnelles qui étaient initialement établies sur un contrat social construit, bon gré mal gré, à travers des décennies de luttes sociales ? Quelle serait l’étendue des perturbations d’une structuration sectorielle fondée sur la nouvelle figure de travailleur, un tiers statut qui n’existe que dans un seul sous-secteur des transports urbains et dans certains États, ce qui porte le risque d’une aggravation de la fragmentation du marché du travail ? L’institutionnalisation du concept du « temps engagé » comme référence d’attribution des droits est désormais au cœur du nouveau modèle du « travailleur des applis », aussi bien aux États-Unis qu’ailleurs, et marque une recomposition des normes du travail. Ce critère marchand issu du dumping social se trouve aux antipodes de la mission sociale de l’État, quand il prétendait en avoir une, au nom de laquelle l’emploi avait élevé les travailleurs américains au rang de classe moyenne pour leur attribuer, comme l’avait préconisé Marshall, une certaine citoyenneté sociale130. Dans le même sens, le temps de la non-régulation par l’État du statut des travailleurs a frayé la voie à une plateformisation de la société qui permet aujourd’hui aux plateformes de s’insérer dans les brèches du service public en palliant ses insuffisances d’une manière qui semble inexorable.

L’instauration d'une nouvelle figure du travailleur aux États-Unis, le travailleur « ubérisé », imposé par l’entreprise qui lui donne son nom, contient une ambition énorme : il s’agit de reconfigurer les relations sociales et, à terme, la société elle-même. Cela se joue simultanément sur les terrains économique, politique et symbolique. Poser ces questions en ces termes nous offre un éclairage sur le sens des évolutions en cours. Il est difficile de mesurer toutes les conséquences qui en découlent pour les travailleurs-citoyens car nous manquons de recul nécessaire, et de plus en plus de repères. L’étude de ce phénomène par le biais des zones grises représente un champ de recherche porteur.

Notes

  • 1. L’autrice souhaite remercier les évaluateurs anonymes pour leur lecture fine et leurs remarques enrichissantes.
  • 2. Cet article reprend les analyses de la communication de Rodrigo Carelli et de Donna Kesselman : « The Digital Economy Regulation Grey Zone: North-South Comparison Epistemologies », présentée à la 6e conférence de l’International Network on Digital Labor (INDL-6), "Digital Labor in the Wake of Pandemic Times", co-organisée par l’Organisation internationale du travail (OIT), et Digital Platform Labor (DiPLab), et Wissenschaftszentrum Berlin für Sozialforschung (WZB) à Berlin les 9-11 octobre 2023.
  • 3. Nous reprenons à notre compte ce terme, formulé en français par S. Abdelnour et D. Méda, dans un sens générique. Les nouveaux travailleurs des applis, Presses Universitaires de France, 2019.
  • 4. M.-Ch. Bureau, A. Corsani, O. Giraud & F. Rey (dir.), Les Zones grises des relations de travail et d’emploi. Un dictionnaire sociologique, Buenos Aires : Teseo, 2018, https://www.teseopress.com/dictionnaire/ ; M.-Ch. Bureau, A. Corsani, O. Giraud, Les Zones grises des relations de travail et d’emploi. Un dictionnaire sociologique, Tome 2, Teseo, 2024, https://www.teseopress.com/dictionnaire2/
  • 5. R. Carelli, P. Cingolani, D. Kesselman (dirs), Les travailleurs des plateformes numériques : regards interdisciplinaires, Éditions Teseo, Buenos Aires.
  • 6. C. Azaïs, P. Dieuaide & D. Kesselman, « Zone grise d’emploi, pouvoir de l’employeur et espace public : une illustration à partir du cas Uber », Relations industrielles / Industrial Relations, 72 (3): 433-456, 2017. https://doi.org/10.7202/1041092ar
  • 7. J. Dirringer, « La protection sociale, un « angle mort » de la régulation du travail des plateformes », Revue française des affaires sociales, 2022, 1, p.53-62. https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales.htm
  • 8. J.-C. Vinel, Reaction at Work: The Right Labor and the New Gilded Age, Oxford University Press, 2022.
  • 9. D. Kesselman, « Le retour en grâce du syndicalisme américain », AOC (Analyse, Opinion, Critique), 6 septembre 2022, https://aoc.media/analyse/2022/09/05/le-retour-en-grace-du-syndicalisme-americain/
  • 10. D. Kesselman, « Travail et salariat aux États-Unis : quels droits, quelles perspectives ? », Revue Française d’Études Américaines, n° 111, 2007, p. 6-26.
  • 11. La loi pour la Sécurité sociale a été promulgué en 1935, la même année et en complément du NLRA.
  • 12. Le NLRA est passée grâce au compris entre les tenants du New Deal et les élus du Sud au sein du Parti démocrate qui ont imposé l’exclusion du droit aux négociations aux secteurs de l’agriculture et du travail domestique, autrement dit aux travailleurs noirs et immigrés, qui constituaient par ailleurs la moitié de la population active de l’époque.
  • 13. Le Family and Medical Leave Act, attribue aux employés éligibles le droit à un congé sans solde pour raison de maladie ou soin médicalement qualifié d’un membre de la famille.
  • 14. Étant donné ses spécificités, cette figure n’est pas l’équivalent du « salarié » en France, d’où son maintien en anglais. J.C. Vinel, The Employee: A Political History, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2013.
  • 15. Les protections contre la discrimination s’appliquent formellement aux travailleurs précaires, mais dans la réalité, sont presque impossibles à faire valoir.
  • 16. D. Weil, The Fissured Workplace: Why Work Became So Bad for So Many and What Can Be Done to Improve It, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2014.
  • 17. Par exemple, l’accès au congé familial fédéral (Family and Medical Leave, FMLA), est réservé aux employees à plein temps, défini comme un travail effectif de 40 heures par semaine, pour une entreprise d’au moins 50 employés ayant travaillé depuis au moins un an. En revanche, la protection contre la discrimination s’applique en principe à tout employee, quelle que soit la taille de l’entreprise ou la durée de l’emploi.
  • 18. Sans négociation collective, c’est l’employeur qui impose les clauses contractuelles aux travailleurs, plus ou moins négociables par l’employee selon son niveau de capital social.
  • 19. La définition juridique de la catégorie de l’employee s’est réduite au fil des jurisprudences. Cette restriction est introduite par la loi Taft-Hartley de 1947. J.C. Vinel, The Employee: A Political History, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2013.
  • 20. Le fait que seule une fraction des employés bénéficie du droit syndical selon la législation du travail étasunienne, est insuffisamment pris en compte lors des comparaisons qui sont habituellement faites entre le taux de syndicalisation aux États-Unis et dans les autres pays.
  • 21. Les travailleurs non syndiqués qui sont couverts par une convention collective sont ceux qui ont opté de s’extraire du champ syndical dès l’embauche (union shop) ou, dans les Right-to-Work States, où le monopole syndical n’existe pas. Bureau of Labor Statistics, « Union Members Summary », January 28, 2025, https://www.bls.gov/news.release/union2.nr0.htm.
  • 22.
  • 23. Ainsi que leur attribution par le patronat aux travailleurs les plus qualifiés afin de les fidéliser. Catherine Sauviat, « La contribution des employeurs et des syndicats à la construction d’un marché privé du risque santé aux États-Unis », in Philippe Batifoulier, Marion Del Sol (eds), Plus d’assurance santé pour moins de protection ? Le patient face au marché, Rennes, IODE, Amplitude du Droit, Rennes, 2022.
  • 24. D. Kesselman, « Le président des travailleurs ? », in L. Henneton (dir), Le Rêve américain à l'épreuve de Donald Trump Paris, Éditions Vendémiaire, 2020, p. 67-89.
  • 25. P. Dine, State of the Unions: How Labor Can Strengthen the Middle Class, Improve Our Economy, and Regain Political Influence, New York, McGraw-Hill, 2007 ; D. Madland, Hollowed Out, University of California Press, 2015 ; R. B. Freeman, J.L. Medoff, What Do Unions Do, New York, Basic Books, 1984.
  • 26. V.B. Dubal, « Economic security & the regulation of gig work in California: From AB5 to Proposition 22 », European Labour Law Journal, 2022, Vol. 13(1), p. 51–65.
  • 27. J. Schmitt, H. Shierholz, M. Poydock, S. Sanders, « The economic costs of worker misclassification », Economic Policy Institute, 25 janvier 2023, https://www.epi.org/publication/cost-of-misclassification/
  • 28. N. Srnicek, Platform Capitalism, New York, Wiley, 2016.
  • 29. Pour Uber, dans le document d’enregistrement transmis en avril 2019 à l’autorité de régulation des marchés financiers, la Securities Exchange Commission (SEC), en vue de sa cotation publique.
  • 30. C. Sauviat, « Le modèle d’affaires d’Uber : un avenir incertain », Chronique Internationale de l'IRES, n° 168, 219/4, p. 51-71. http://www.ires.fr/index.php/publications/chronique-internationale-de-l-ires/item/6111-le-modele-d-affaires-d-uber-un-avenir-incertain
  • 31. C. Casagrande, D. Kesselman, « États-Unis : à l’origine des plateformes de VTC, à la pointe de la protection des chauffeurs », Chronique internationale de l’IRES, n° 168, décembre 2019, p. 123-138. https://www.cairn.info/revue-chronique-internationale-de-l-ires-2019-4-page-123.htm
  • 32. Chez Amazon, Starbucks… Kesselman, 2022, op. cit.
  • 33. Ibid.
  • 34. Les deux critères retenus sous la présidence Trump étaient : le degré de contrôle de l’entreprise sur le travail et le degré d’« opportunité entrepreneuriale » dans le travail. Les nouveaux critères sous la présidence Biden incluent : (1) le droit de l'employeur présumé à contrôler la manière dont le travail doit être effectué ; (2) la possibilité pour le travailleur de réaliser des profits ou des pertes en fonction de ses compétences en matière de gestion ; (3) l'investissement du travailleur dans l'équipement ou les matériaux nécessaires à sa tâche, ou l'emploi d'assistants ; (4) le fait que le service rendu nécessite une compétence particulière ; (5) le degré de permanence de la relation de travail ; et (6) la mesure dans laquelle le service rendu fait partie intégrante de l'entreprise de l'employeur présumé.
    https://www.federalregister.gov/documents/2024/01/10/2024-00067/employee-or-independent-contractor-classification-under-the-fair-labor-standards-act
  • 35. V.B. Dubal, R.B. Collier, C. Carter, « Disrupting Regulation, Regulating Disruption: The Politics of Uber in the United States », Perspectives on Politics, Vol. 16, No. 4, décembre 2018, p. 919-937 2018,
  • 36. Azaïs, Dieuaide, Kesselman, 2017, op. cit.
  • 37. Bureau, Corsani, Giraud, Rey, 2019, op. cit.
  • 38. Carelli, Cingolani, Kesselman, 2022, op. cit.
  • 39. D. Kesselman, C. Sauviat, « Les enjeux de la revitalisation syndicale face aux transformations de l’emploi et aux nouveaux mouvements sociaux aux États-Unis », Chronique International de l’IRES, no. 160, 12/2017, p. 19-37. https://www.cairn.info/revue-chronique-internationale-de-l-ires-2017-4-page-19.htm
  • 40. S. Grillo, « Centralidade do trabalho e políticas de governo : a experiênca espanhola para além das reformas laborais », Revista Direito Público, Brasília, Vol. 20, n. 107, 52-82, jul/out. 2023, DOI: 10.11117/rdp.v20i107.7445| ISSN:2236-1766 ; S. Grillo, J.L. Soares, « Neoliberalismo e aceleração do tempo jurídico: elementos para uma compreensão das reformas trabalhistas no Brasil », Pés no presente e olhos no futur”: reflexões sobre direitos humanos, democracia e desenhos institucionais, São Paulo, Tirant Lo Blanch, 2022, p. 148-159 ; R. Carelli, S. Grillo, M. Oliveira M., « Concept and criticism of digital labour platforms », Labour & Law Issues, vol. 7, no. 1, 2021, file:///C:/Users/26760/Downloads/13110-Articolo-47695-3-10-20210628.pdf
  • 41. R. Carelli, D. Kesselman, « La régulation du travail des chauffeurs de VTC : disruption et résistance par la voie du droit », R. Carelli, D. Kesselman Chronique internationale de l’IRES, n° 168, décembre 2019, p. 29-50. https://www.cairn.info/revue-chronique-internationale-de-l-ires-2019-4-page-29.htm
  • 42. Dirringer, 2022, op. cit.
  • 43. Azaïs, Dieuaide, Kesselman, 2017, op. cit.
  • 44. V. Lehdonvirta, Cloud Empires: How Digital Platforms Are Overtaking the State and How We can Regain Control, Cambridge, MIT Press, 2020 ; D. Kesselman, « Les zones grises de la requalification salariale des chauffeurs VTC », in P. Cingolani, D. Kesselman, 2022, op. cit.. ; S. Bisom-Rapp, U. Coiquaud, « The Role of the State towards the Grey Zone of Employment: Eyes on Canada and the United States », Interventions Economiques/Papers in Political Economy, 58, 2017, https://journals.openedition.org/interventionseconomiques/3555
  • 45. D. Kesselman, C. L. Casagrande, « États-Unis - À l’origine des plateformes de VTC, à la pointe de la protection des chauffeurs », Chronique Internationale de l’IRES », Chronique internationale de l’IRES, n° 168, décembre 2019, p. 123-138. https://www.cairn.info/revue-chronique-internationale-de-l-ires-2019-4-page-29.htm
  • 46. La technologie de mise en relation des chauffeurs et des passagers fait office, pour l’entreprise, de réservation préalable, qui est l’élément distinctif de ce secteur, celui du secteur des VTC – l’ancienne Grande Remise – en France.
  • 47. Lancé en Europe sous le nom d’UberPop en 2014, il sera interdit dans la plupart des pays sauf la Pologne et l’Estonie.
  • 48. V.B. Dubal, « The drive to precarity: A political history of work, regulation, & labor advocacy in San Francisco’s taxi & Uber Economies », Berkeley Journal of Employment & Labor Law, vol. 38, n° 1, 2017, p. 73-135, http://bit.ly/2r9BVOH.
  • 49. L’arbitrage est une procédure du droit commercial. L’envoi des différends à l’arbitrage a pour conséquence d’écarter la compétence des juridictions du travail.
  • 50. Epic Systems v. Lewis (138 S.Ct. 1612 (2018)
  • 51. Dynamex v. Superior Court of Los Angeles (4 Cal. 5th 903 (2018).
  • 52. Un travailleur est effectivement indépendant si, A) l’entreprise ou le donneur d’ordre n’a pas de contrôle sur la tâche qu’il réalise ; si, B) son travail ne fait pas partie du cœur de métier de l’entreprise ou du donneur d’ordre ; et enfin si, C) il exerce une activité indépendante, c’est-à-dire qu’il effectue des tâches similaires pour des entreprises autres que celle en position de donneur d’ordre.
  • 53. La California Assembly Bill 5 ou AB 5 est une loi de l'État qui étend une décision historique de la Cour suprême de Californie datant de 2018, Dynamex Operations West, Inc. v. Superior Court (« Dynamex ». Dans cette affaire, la Cour a estimé que la plupart des travailleurs salariés sont des employés et doivent être classés comme tels, et que la charge de la preuve pour classer des personnes comme entrepreneurs indépendants incombe à l'entité qui les embauche. L'AB 5 étend cette décision à tous les travailleurs. Il leur permet d'être classés comme employés avec les protections habituelles du travail, telles que les lois sur le salaire minimum, les congés de maladie et les prestations de chômage et d'indemnisation des travailleurs, qui ne s'appliquent pas aux entrepreneurs indépendants. Les préoccupations concernant la mauvaise classification des employés, en particulier dans l'économie gigogne, ont conduit à soutenir le projet de loi, mais il reste source de division.
  • 54. P. Mouron, « La ‘Proposition 22’ en Californie, une remise en cause de la loi anti-ubérisation », La revue européenne des médias et du numérique, N°56 Hiver 2020-2021, https://la-rem.eu/2021/06/la-proposition-22-en-californie-une-remise-en-cause-de-la-loi-anti-uberisation/
  • 55. Dubal 2022, op. cit.
  • 56. J. Borkholder, M. Montgomery, M.S. Chen, R. Smith, « Uber State Interference: How Transportation Network Companies Buy, Bully, and Bamboozle Their Way To Deregulation », National Employment Law Project, 18 janvier, 2018, http://bit.ly/35lFgZG.
  • 57. K. Andrias, « The Perils and Promise of Direct Democracy: Labour Ballot Initiatives in the United States », King's Law Journal, Volume 34, 2023, Issue 2, https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09615768.2023
  • 58. Ibid.
  • 59. Le dispositif du referendum populaire est présent dans une vingtaine d’États. D. Kesselman, « Ballot Issues : la démocratie directe et la société américaine dans les urnes », IdeAs 16, 2020, https://journals.openedition.org/ideas/9841
  • 60. Castellanos v. State of California, Supreme Court of California, 25 juillet 2024, https://law.justia.com/cases/california/supreme-court/2024/s279622.html
  • 61. Service Employees International Union (SIEU).
  • 62. Selon le Service Employees International Union (SIEU), le nouveau statut des « travailleurs des applis » est anticonstitutionnel, soulevant un point de droit assez obscur. Seul le congrès, et non pas l’« électorat » à travers un référendum, serait confié avec la responsabilité d’accorder aux travailleurs les indemnisations pour l’accident du travail (workers’ compensation). L. Sumagavsay, « Uber, Lyft, DoorDash Workers remain contractors du to California Supreme Court ruling », Cal Matters, 25 juillet 2024, https://calmatters.org/economy/2024/07/prop-22-california-gig-work-law-upheld/#:~:text=In%20a%20major%20victory%20for,on%20Proposition%2022%20was%20unanimous.
  • 63. Ibid.
  • 64. Azaïs, Dieuaide, Kesselman, 2017, op. cit.
  • 65. Andrias 2023, op. cit.
  • 66. F. Siddiqui, N. Tiku « Uber and Lyft used sneaky tactics to avoid making drivers employees in California, voters say. Now, they’re going national », 17 novembre 2020, Washington Post, https://www.washingtonpost.com/technology/2020/11/17/uber-lyft-prop22-misinformation/
  • 67. J. Valdez, « The politics of Uber: Infrastructural power in the United States and Europe », Regulation & Governance, 2023, 17, 177-194
    file:///C:/Users/26760/Downloads/Regulation%20Governance%20-%202022%20-%20Valdez%20-%20The%20politics%20of%20Uber%20Infrastructural%20power%20in%20the%20United%20States%20and%20Europe.pdf
  • 68. D. Kerr, M Varner, « Uber and Lyft Donated to Community Groups Who Then Pushed the Companies’ Agenda », The Markup, 17 juin 2021 08:00, https://themarkup.org/news/2021/06/17/uber-and-lyft-donated-to-community-groups-who-then-pushed-the-companies-agenda,
  • 69. M. Gutierrez, « California NAACP leader to step down amid conflict-of-interest criticism », Los Angeles Times, 20 novembre 2020, https://www.latimes.com/california/story/2020-11-20/california-naacp-leader-to-step-down-alice-huffman
  • 70. Massachusetts Is Not For Sale, https://massachusettsisnotforsale.org/
  • 71. E. Mulvaney, C. Marr, « Massachusetts Justices Reject Uber-Backed Ballot Initiative », https://news.bloomberglaw.com/daily-labor-report/massachusetts-justices-strike-down-gig-backed-ballot-initiative.
  • 72. Kesselman, Sauviat, op. cit.
  • 73. HB 2076 - 2021-22, https://app.leg.wa.gov/billsummary?BillNumber=2076&Year=2021&Initiative=false,
  • 74. Loi RCW 49.46.300, https://app.leg.wa.gov/rcw/default.aspx?cite=49.46.300&utm_medium=email&utm_source=govdelivery
    Seattle Passes Gig Worker Wage Boost Despite Business Pushback
    June 1, 2022, 2:51 PM
  • 75. L. Stiffler, « Lyft, Uber and unions back new Washington state legislation protecting drivers », 7 mars 2022, Geekwire, https://www.geekwire.com/2022/lyft-uber-and-unions-back-new-washington-state-legislation-protecting-drivers/
  • 76. Seattle City Council, « Fare Share Legislation Package », https://www.seattle.gov/laborstandards/ordinances/tnc-legislation
  • 77. American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations.
  • 78. R. Dixon, « To Members of the Washington State Senate: », NELP, 25 février 2022, https://www.nelp.org/wp-content/uploads/NELP-Letter-to-Washington-Senate-re-HB-2076.pdf
  • 79. L. Stiffler, « Lyft, Uber and unions back new Washington state legislation protecting drivers », 7 mars 2022, Geekwire, https://www.geekwire.com/2022/lyft-uber-and-unions-back-new-washington-state-legislation-protecting-drivers/
  • 80. T. Khurana, « Hailed As Rideshare Driver Victory, New Law Lets Uber and Lyft Limit Labor Right », South Seattle Emerald, 30 juin 2022, https://southseattleemerald.com/2022/06/30/state-rideshare-law-victory-for-drivers-or-national-campaign-to-deny-employee-rights/
  • 81. J. Laundry, « Why Is the Teamsters Backing an Uber- and Lyft-Friendly Worker Classification Bill? », Jacobin, 3 novembre 2022, https://jacobin.com/2022/03/washington-state-legislature-house-bill-2076-uber-lyft-independent-contracting
  • 82. K. Browning, « The Next Battleground for Gig Worker Labor Laws: Massachusetts », New York Times, 1 juin 2022, https://www.nytimes.com/2022/06/01/business/massachusetts-gig-workers-ballot.html
  • 83. « Massachusetts Coalition for Independent Work », https://independentmass.org/mission/
  • 84. « Health care stipend Massachusetts App-Based Drivers as Contractors and Labor Policies Initiative (2024) », Ballotpedia, https://ballotpedia.org/Massachusetts_App-Based_Drivers_as_Contractors_and_Labor_Policies_Initiative_(2024).
  • 85. Il convient de souligner que dans l’État de Massachusetts le test ABC est en vigueur.
  • 86. Office of the Attorney General, « Press Release AG Healey: Uber and Lyft Drivers are Employees Under Massachusetts Wage and Hour Laws », Mass.gov, 14 juillet 2020, https://www.mass.gov/news/ag-healey-uber-and-lyft-drivers-are-employees-under-massachusetts-wage-and-hour-laws.
  • 87. Service Employees International Union (SIEU), International Association of Machinists and Aerospace Workers (IAM). « The Drivers Demand Justice coalition », deux projets de loi HD 2071 / SD 1162) et Rideshare Drivers Justice Bill, https://driversdemandjustice.org/about/
  • 88. Protection contre la discrimination, etc.
  • 89. Bien que cela implique une bataille juridique, la loi fédérale, selon les sponsors, à la différence d’une ville comme Seattle, les lois anti-trust fédérales permettent à un Etat de promulguer une dérogation en matière d’organisation et de négociation collective des travailleurs indépendants. Chris Marr, Uber Driver Proposals Extend Massachusetts Classification Fight, Bloomberg Law, 11 septembre 2023, https://news.bloomberglaw.com/daily-labor-report/uber-driver-proposals-extend-massachusetts-classification-fight.
  • 90. https://yesformassdrivers.org/news/81-of-massachusetts-app-based-rideshare-and-delivery-drivers-support-a-proposed-ballot-question/
  • 91. L. Maffei, « Local nonprofits join Uber, Lyft in new coalition for 'app-based workers' », 3 mars 2021, Boston Business Journal, https://www.bizjournals.com/boston/news/2021/03/03/local-nonprofits-join-uber-lyft-to-launch-coaliti.html
  • 92. L. Felicity , « Uber paid academics six-figure sums for research to feed to the media », The Guardian, 12 juillet 2022, https://www.theguardian.com/news/2022/jul/12/uber-paid-academics-six-figure-sums-for-research-to-feed-to-the-media.
  • 93. K. Huggins, « Lyft emerges as fundraising heavyweight in Massachusetts ahead of vote on gig work ballot initiative », Open Secrets, 1 février 2022, https://www.opensecrets.org/news/2022/02/lyft-emerges-as-fundraising-heavyweight-in-massachusetts-ahead-of-vote-on-gig-work-ballot-initiative/ ; D. Kerr, M. Varner, « Uber and Lyft Donated to Community Groups Who Then Pushed the Companies’ Agenda », The Markup, 17 juin 2021, https://themarkup.org/news/2021/06/17/uber-and-lyft-donated-to-community-groups-who-then-pushed-the-companies-agenda,
  • 94. Massachusetts Is Not For Sale Coalition, « Massachusetts Voters Call on the Supreme Judicial Court to Stop Unconstitutional Big Tech Ballot Measures », Février 2024, https://massachusettsisnotforsale.org/massachusetts-voters-call-on-the-supreme-judicial-court-to-stop-unconstitutional-big-tech-ballot-measures/
  • 95. Coalition d’associations de consommateurs, pour les droits civiques, d’immigrés, d’organisations religieuses, de communautés, pour l’environnement, de l’ACLU, du NLRB, du NELP, entre autres. Massachusetts Not For Sale, « Massachusetts Voters Call on the Supreme Judicial Court to Stop Unconstitutional Big Tech Ballot Measures », février 2024, https://massachusettsisnotforsale.org/massachusetts-voters-call-on-the-supreme-judicial-court-to-stop-unconstitutional-big-tech-ballot-measures/
  • 96. Notamment la sénatrice de Massachusetts Elizabeth Warren, le sénateur Bernie Sanders du Vermont et de New York, le président du Sénat Charles Schumer.
  • 97. K. Browning, « The Next Battleground for Gig Worker Labor Laws: Massachusetts », op. cit.
  • 98. Uber et Lyft payeront 175 000 de dollars comme indemnité aux chauffeurs qui n’ont pas été suffisamment rémunérés, selon les critères du nouvel accord. Toute référence à la requalification salariale est abandonnée.
  • 99. Une rémunération de 32,50$ de l’heure pendant le temps engagé ; une heure de rémunération pour congé maladie pour chaque 30 heures travaillées (jusqu’à 40 heures par semaine) : à partir de 15 heures de conduite par semaine le calcul des heures sont cumulables entre Uber et Lyft ; un financement pour profiter du système de congé familial et de congé médical de l’État de Massachusetts. Office of the Attorney General, « Uber and Lyft Settlement Information and Frequently Asked Questions », consulté le 23 novembre 2024, https://www.mass.gov/info-details/uber-and-lyft-settlement-information-and-frequently-asked-questions
  • 100. Ibid.
  • 101. Chris Lisinski, « Uber, Lyft to pay Mass. drivers $32 minimum wage during rides under $175 million settlement », State House News Service, 27 juin 2024, https://www.wbur.org/news/2024/06/27/massachusetts-attorney-general-uber-lyft-driver-wages
  • 102. Ibid.
  • 103. Office of the Attorney General, « Press Release: A.G. Campbell Reaches Nation-Leading Settlement with Uber and Lyft, Secures Landmark Wages, Benefits and Protections for Drivers », 27 juin 2024, https://www.mass.gov/news/ag-campbell-reaches-nation-leading-settlement-with-uber-and-lyft-secures-landmark-wages-benefits-and-protections-for-drivers
  • 104. « Law Proposed by Initiative Petition, Full Text of Question 3: Unionization for Transportation Network Drivers », Ballotpedia, consulté le 20 novembre 2024, https://ballotpedia.org/Massachusetts_Question_3,_Unionization_and_Collective_Bargaining_for_Transportation_Network_Drivers_Initiative_2024
  • 105. La NYTWA organise des dizaines de manifestations devant la mairie, des grèves dans les aéroports et des recours collectifs en justice pour la requalification des chauffeurs, des coalitions plus larges, etc., https://www.nytwa.org/
  • 106. N. Scheiber, « Uber and Lyft Ramp Up Legislative Efforts to Shield Business Model », New York Times, 9 juin 2021, https://www.nytimes.com/2021/06/09/business/economy/uber-lyft-gig-workers-new-york.html
  • 107. Voir supra;
  • 108. B. Chen, M. Pinto, « Uber’s New Gig Worker Bill is the Same Old Trick: Deregulation and Special Treatment for Exploitive Companies », NELP (National Employment Law Project), 2 juin 2021, https://www.nelp.org/blog/ubers-new-gig-worker-bill-is-the-same-old-trick-deregulation-and-special-treatment-for-exploitive-companies/ ; Michael Sainato, « I can't keep doing this': gig workers say pay has fallen after California's Prop 22 », The Guardian, 18 février 2021, https://www.theguardian.com/us-news/2021/feb/18/uber-lyft-doordash-prop-22-drivers-california#:~:text=After%20Prop%2022%20passed%2C%20he,base%20pay%20amid%20unreliable%20fluctuations.&text=The%20minimum%20wage%20in%20California,with%20less%20than%2025%20employees.
  • 109. Selon le dispositif de représentativité : la désignation par le congrès de l’État d’une organisation comme représentative unique sans élection ou majorité requise, à partir de la signature de 10% de travailleurs dans le secteur, ayant une expérience de négociation avec les plateformes depuis au moins cinq ans. S. Greenhouse, « Unionized but impotent? Row erupts over gig workers’ labor proposal », The Guardian, 27 mai 2021, https://www.theguardian.com/us-news/2021/may/27/gig-workers-unionized-but-impotent-new-york-bill
  • 110. Ibid.
  • 111. Bien qu’étendant ce chiffre à 25%, la Ballot Question 3 dans la Massachussetts ne répondrait pas non plus aux exigences d’une vraie représentativité.
  • 112. N. Scheiber, M. Isaac, « Uber Recognizes New York Drivers’ Group, Short of a Union », New York Times, 10 Mai 2016, https://www.nytimes.com/2016/05/11/technology/uber-agrees-to-union-deal-in-new-york.html.
  • 113. J. DeManuelle-Hall, « Draft Legislation in New York Would Put Gig Workers into Toothless Unions », Labor Notes, 21 mai 2021, https://labornotes.org/2021/05/breaking-daft-legislation-new-york-would-put-gig-workers-toothless-unions
  • 114. Scheiber, Isaac, 2016, op. cit.
  • 115. « IDG About Us », En plus de New York et le Massachussetts, l’IDG est présent dans le New Jersey, le Connecticut, l’Illinois. https://driversguild.org/about-us-2/
  • 116. Uber et Lyft payeront une indemnisation de 328 millions de dollars, pour avoir abusivement imputé des taxes de vente qui auraient dû être payés par les clients. « Attorney General James Secures $328 Million from Uber and Lyft for Taking Earnings from Drivers », Office of the New York State Attorney General Letitia James, https://ag.ny.gov/press-release/2023/attorney-general-james-secures-328-million-uber-and-lyft-taking-earnings-drivers
  • 117. Les chauffeurs auraient eu une heure de congé maladie indemnisée pour toutes les 30 heures travaillées, jusqu’à un maximum de 56 heures par an. Neuf chauffeurs sur dix sont des immigrés, les deux tiers travaillent à plein temps, plus de la moitié sont les gains-pain primordiaux du ménage. C. A. Young 2023, Ibid., https://www.bizjournals.com/boston/news/2023/11/03/uber-rideshare-drivers-new-york-massachusetts.html C. Marr, « Uber, Lyft Driver Pay Proposals in 2024 Shaped by New York Deal », Bloomberg Law, 27 décembre 2023, https://news.bloomberglaw.com/daily-labor-report/uber-lyft-driver-pay-proposals-in-2024-shaped-by-new-york-deal
  • 118. C. A. Young, « Uber eyes NY rideshare settlements as template for Massachusetts », Boston Business Journal, 3 novembre 2023, https://www.bizjournals.com/boston/news/2023/11/03/uber-rideshare-drivers-new-york-massachusetts.html
  • 119. Voir supra.
  • 120. L. Cohen, « Should the Labor Movement Prioritize the Push for Sectoral Bargaining? », The Nation, 20/27 mars 2023, https://www.thenation.com/article/activism/sectoral-bargaining-labor-unions/ ;
  • 121. K. Andrias, S. Block, B. I. Sachs, « A new path for unionizing Uber and Lyft », 2 décembre 2023, Commonwealth Beacon, https://commonwealthbeacon.org/opinion/a-new-path-for-unionizing-uber-and-lyft/ ; B. I. Sachs, SD. Block, « Clean Slate for Worker Power: Building a Just Economy and Democracy », Center for Labor and a Just Economy, 23 janvier 2020, https://clje.law.harvard.edu/clean-slate-for-worker-power-building-a-just-economy-and-democracy/
  • 122. McDonald's, In-N-Out, and Chipotle are spending millions to block raises for their workers », CNN, 26 janvier 2023, https://www.cbs58.com/news/mcdonalds-in-n-out-and-chipotle-are-spending-millions-to-block-raises-for-their-workers.
  • 123. Le mouvement à partir du mot d’ordre d’un salaire minimum de 15 dollars de l’heure a été porté par les travailleurs dans la restauration rapide avant de s’étendre à la grande distribution, à Walmart, Target et ailleurs. K. Andrias, « The New Labor Law », The Yale Law Journal, 126:2, 12 octobre 2016, https://www.yalelawjournal.org/pdf/a.2.Andrias.100_sa4cc96k.pdf
  • 124. « Governor Newsom Signs Legislation to Improve Working Conditions and Wages for Fast-Food Workers », Governor Gavin Newsome, 5 septembre 2022, https://www.gov.ca.gov/2022/09/05/governor-newsom-signs-legislation-to-improve-working-conditions-and-wages-for-fast-food-workers/
  • 125. X. de N. Lichtenstein, « Nelson Lichtensein@NelsonLichtens1 »; J.F. McAlevey, No Shortcuts: Organizing for Power, New York, Oxford University Press, 2016.
  • 126. N. Lichtenstein, « Sectoral Bargaining in the United States: Historical Roots of a Twenty-First Century Renewal », in A. B. Cornell et M. Barenberg , The Cambridge Handbook of Labor and Democracy , Cambridge University Press, 2022: 87 – 101.
  • 127. « Teamsters Oppose Massachusetts Worker Classification », 09 février 2023, https://www.prnewswire.com/news-releases/teamsters-oppose-massachusetts-worker-misclassification-bill-301743571.html.
  • 128. E. Blanc, « Should the Labor Movement Prioritize the Push for Sectoral Bargaining? », The Nation, 20/27 mars 2023, https://www.thenation.com/article/activism/sectoral-bargaining-labor-unions/ ; Steven Greenhouse, « Is Organized Labor Making a Comback? », The Atlantic, 4 avril 2022.
    https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2022/04/how-build-union-victory-amazon-staten-island/629464/
  • 129. J.B. White, « Uber CEO sees California ballot initiative as a model for other states », Politico, 5 novembre 2020, https://www.politico.com/states/california/story/2020/11/05/uber-ceo-sees-california-ballot-initiative-as-a-model-for-other-states-9424660.
  • 130. T.H. Marshall,« Citizenship and Social Class », in T.H. Marshall, Class, citizenship and social development, Chicago, Chicago University Press, 1963.

Auteurs


Donna KESSELMAN

Affiliation : IMAGER (UR 3958), Membre associée LISE-CNAM/CNRS (UMR 3320)

Pays : France

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