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L’accès à la formation des travailleurs de plateformes numériques : le cas suédois

Résumé

Cet article porte sur les travailleurs de plateformes en Suède et leurs droits d'accès à la formation continue. Il débute par une description du système éducatif et des structures de soutien financier à la formation primaire et professionnelle disponibles en Suède. Il explique ensuite pourquoi les travailleurs de plateformes sont exclus d'un droit à la formation professionnelle et pour quelles raisons ils ne bénéficient en général que d'une protection faible de leur emploi. La dernière partie est consacrée aux structures de formation continue récemment introduites dans la législation suédoise, conçues en principe, pour compenser une protection faible de l'emploi. Cependant alors que ces structures de soutien sont évaluées à l'aune des nouvelles possibilités ouvertes aux travailleurs de plateforme, l'article se termine par un constat tout compte fait pessimiste : il est en effet peu probable que les travailleurs de plateforme aient accès aux mécanismes de soutien à la formation continue. Toutefois, une étude sociologique serait nécessaire pour corroborer ce constat alarmant.

Introduction

Le statut des travailleurs des plateformes sur le marché du travail est flou et incertain à bien des égards, y compris dans le contexte suédois1. Les incertitudes sont pertinentes pour les travailleurs des plateformes en raison de la différenciation entre les domaines juridiques qui génèrent des risques, par exemple en ce qui concerne les travailleurs des plateformes qui sont soumis à des classifications différentes dans le droit du travail et le droit de la Sécurité sociale2. En ce qui concerne la formation tout au long de la vie, les problèmes sont peut-être moins pertinents, mais ils subsistent dans une certaine mesure. C'est probablement le cas également en ce qui concerne les structures récemment introduites pour la formation tout au long de la vie, destinées à compenser l'affaiblissement de la protection de l'emploi à la suite de la récente réforme du droit du travail en Suède. Cette contribution abordera ce nouveau régime de formation tout au long de la vie et évaluera l'accessibilité de ce système pour les travailleurs des plateformes. Toutefois, parce qu’il est difficile de comprendre la valeur ajoutée potentielle de ce nouveau système si on ne le replace pas dans le cadre plus général des droits à la formation rattachés au travail, cet article propose aussi et en premier lieu un aperçu du cadre général, qui prélude au cas plus spécifique de la formation visant à garantir l'employabilité future.

Afin de bien comprendre l'accès des travailleurs des plateformes à la formation tout au long de la vie - et pour faciliter la comparaison avec d’autres pays étudiés dans ce dossier -, il convient de noter que le système éducatif suédois en tant que tel est fondé sur un droit fondamental à l'éducation pour tous les enfants3, qui a été explicité dans la législation régissant le système éducatif en Suède comme un droit à l'éducation gratuite, c'est-à-dire sans frais de scolarité, pour les enfants et les personnes qui participent à l'éducation dans le cadre du système éducatif financé par l'État4. Outre l'école obligatoire, le principe de gratuité a également été mis en œuvre pour l'enseignement secondaire supérieur, l'éducation des adultes, l'université et l'enseignement professionnel supérieur, et s'applique en principe aux personnes résidant régulièrement en Suède. En outre, les droits en matière d'éducation sont également accordés aux demandeurs d'asile en Suède5. Afin de permettre aux personnes adultes de subvenir à leurs besoins pendant leurs études, il existe également un système d'aide financière aux études financé par l'État. Pour avoir accès à ce système d'aide financière aux études, il faut en principe être citoyen ou disposer d'un permis de séjour permanent, être un citoyen de l'UE ayant rempli les conditions requises pour être résident de longue durée ou, dans certains cas, disposer d'un permis de séjour pour des raisons d'asile6. Le système d'aide financière aux études fournit l’équivalent d’un revenu de base et une partie de l'aide est conçue comme un prêt7. Le système éducatif suédois est en tant que tel assez accessible et le principe sous-jacent est qu'il devrait permettre à toute personne d'obtenir un diplôme universitaire, quel que soit son milieu socio-économique. La question de la formation tout au long de la vie en relation avec les droits liés au travail est moins évidente en raison de l'absence de droits individuels matériels solides.

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I. Cadre général concernant les droits à la formation liés au travail

La réglementation des droits à la formation liés au travail en Suède est relativement limitée et concerne principalement deux questions. La première concerne la responsabilité de l'employeur de fournir une formation pertinente pour la santé et la sécurité au travail. À cet égard, l'employeur est tenu de s'assurer que les travailleurs disposent des informations et des compétences nécessaires pour effectuer leur travail de manière à garantir la santé et la sécurité au travail8, ce qui signifie que l'employeur est tenu d'initier les employés aux règles de sécurité et aux pratiques de travail sûres. Cela signifie également que lorsque des réglementations émises par l'autorité chargée de l'environnement du travail exigent une formation spécifique pour l'exécution du travail, l'employeur est tenu de veiller à ce que ces exigences soient remplies9. Il convient de noter que, pour les travaux que l'employeur n'est pas en mesure de contrôler, la responsabilité de l'employeur sera évaluée en fonction de la mesure dans laquelle l'employeur exerce une influence réelle sur le lieu de travail en tant que tel10. Il peut en résulter une situation où la responsabilité est transférée dans une certaine mesure au travailleur, qui devra s'assurer que l'employeur acquiert la connaissance et la possibilité d'intervenir en cas de problèmes liés à l'environnement de travail. La responsabilité de l'employeur en matière d'introduction et d'information concernant la santé et la sécurité est néanmoins applicable. Toutefois, en ce qui concerne les travailleurs des plateformes, cette responsabilité n'implique pas nécessairement des droits spécifiques à la formation. Étant donné que les travailleurs des plateformes peuvent également être des travailleurs indépendants, ces obligations de formation leur incomberaient dans ce cas11.

L'autre aspect est lié aux obligations des employeurs en matière de législation sur la protection de l'emploi. La législation suédoise sur la protection de l'emploi exige de l'employeur qu'il cherche à transférer le salarié à un autre poste vacant au sein de l'organisation de l'employeur avant de pouvoir mettre fin à son emploi, c’est-à-dire le licencier12. Pour un tel transfert du salarié, il est toutefois nécessaire que le salarié ait des qualifications suffisantes pour le poste, c'est-à-dire les qualifications qui seraient nécessaires à une personne nouvellement employée au même poste. Ainsi, le transfert d'un salarié à un nouveau poste peut également impliquer une période d'introduction au cours de laquelle le travailleur bénéficie d'un certain soutien pour apprendre et développer les compétences nécessaires à l'exécution de son travail. En général, l'employeur est tenu d'accepter qu'une telle période d'introduction puisse durer jusqu'à six mois13. Pour les travailleurs des plateformes, ce cadre est toutefois moins pertinent. En effet, les travailleurs des plateformes - et ce, quel que soit le type de plateformes en ligne ou in loci -, qui sont considérés comme des salariés, sont très probablement soumis à un contrat de travail temporaire. Les contrats temporaires prennent fin à l'échéance convenue entre les parties14 et les règles régissant les obligations de l'employeur en matière de cessation d'emploi sont généralement conçues pour la cessation d'un contrat à durée indéterminée. Le cadre général concernant les responsabilités des employeurs en matière de formation tout au long de la vie ne fournit pas en tant que tel aux travailleurs des plateformes des outils utiles pour accéder au développement des compétences au cours de leur vie professionnelle. Toutefois, certains changements récents liés à la réforme de la protection de l'emploi pourraient être intéressants à cet égard.

II. Le cas spécifique de la formation visant à garantir l'employabilité future

La protection de l'emploi en Suède a récemment fait l'objet de changements. Une nouvelle législation, régissant les possibilités pour les travailleurs de garantir leur employabilité future grâce au développement des compétences, a été introduite afin de compenser l'affaiblissement de la protection de l'emploi. Ces changements, pertinents pour l'apprentissage tout au long de la vie, ont consisté en un ensemble de mesures d'aide à la transition ainsi qu' un système spécifique d'aide financière aux études, fonction du niveau de revenu de la personne15, appelé « financement des étudiants pour la transition et la reconversion » (ci-après FETR). Pour les travailleurs couverts par des conventions collectives, il existe depuis longtemps des structures de soutien en cas de transition, qui ont été améliorées et renforcées lors de la réforme de la protection de l'emploi. La réforme en tant que telle a été conçue sur la base d'un accord entre les partenaires sociaux du secteur privé16. Afin de garantir que les travailleurs qui ne sont pas couverts par ces conventions collectives bénéficient également des mesures d'employabilité pour compenser l'affaiblissement de la protection de l'emploi, une législation a été introduite17. Les structures de soutien offertes par les conventions collectives sont un peu plus avantageuses, en particulier en ce qui concerne le FETR18. Toutefois, ce nouveau système législatif est probablement plus pertinent pour les travailleurs des plateformes qui sont moins souvent couverts par des conventions collectives. Par rapport à la formation tout au long de la vie, le FETR est le plus pertinent parce que les autres structures d'aide à la transition se concentrent principalement sur l'orientation et le conseil, sans formation ou éducation approfondie. Ce financement améliore les possibilités de trouver un nouvel emploi par exemple en cas de licenciement19. Par conséquent, nous nous intéresserons aux structures législatives relatives au FETR.

Le FETR vise à améliorer les possibilités pour les personnes adultes de financer des études qui amélioreront leur position future sur le marché du travail20. Comme le système général de financement des études, il s'agit en partie d'une allocation et en partie d'un prêt21. Il convient toutefois de noter que cette aide n'est pas fondée sur des droits, mais qu'elle est soumise à la disponibilité des moyens22, ce qui signifie que les moyens budgétaires de l'État consacrés à ce système auront un impact sur le nombre de personnes pouvant bénéficier de l'aide23. Pour avoir accès au FETR, plusieurs critères doivent être remplis. Ces critères peuvent être classés par catégories. Une catégorie de critères concerne l'individu qui fait la demande et l'autre catégorie de critères concerne la formation pour laquelle l'aide financière est utilisée.

Les critères individuels peuvent être divisés en critères personnels et en critères de qualification. Les critères personnels tiennent à ce que le FETR peut être accordé aux citoyens suédois et aux étrangers qui remplissent les conditions pour bénéficier de l'aide générale au financement des études, c'est-à-dire les étrangers qui sont soit des citoyens de l'UE résidant depuis longtemps en Suède, soit des ressortissants de pays tiers titulaires d'un permis de séjour permanent24. Deuxièmement, il existe des limites d'âge : la partie du financement des études consistant en un prêt ne peut être accordée que jusqu'à l'année civile au cours de laquelle la personne atteint l'âge de 60 ans, et la partie consistant en une allocation ne peut être accordée intégralement que jusqu'à l'année civile au cours de laquelle la personne atteint l'âge de 61 ans25. Les raisons de ces limites sont liées à la nécessité pour l'État de s'assurer que la personne bénéficiant de l'aide sera en mesure de rembourser le prêt, qu'elle tirera profit de la reconversion en tant que participante active au marché du travail et que l'investissement de l'État générera une valeur ajoutée pour la société. En d'autres termes, l'octroi d'un FETR à une personne qui, très peu de temps après, se retire du marché du travail n'est pas considéré comme raisonnable, car l'amélioration potentielle de l'employabilité de la personne ne profitera pas au marché du travail et un tel investissement ne sera donc pas justifiable d'un point de vue socio-économique26. Les personnes qui ont déjà bénéficié d'un prêt dans le cadre du financement des études ou du financement de la transition et de la reconversion doivent se conformer aux règles et procédures de remboursement du prêt pour pouvoir bénéficier d’une nouvelle aide financière27. Pour les travailleurs des plateformes, l’impact de ces critères est difficile à évaluer, car les statistiques sur la nationalité et l'âge des travailleurs des plateformes font défaut en raison de l'absence générale de statistiques fiables pour ce petit segment du marché du travail suédois. Étant donné que le travail sur plateformes semble être plus répandu chez les jeunes28, il est peu probable que les limites d'âge affectent les travailleurs de plateforme.

Les critères de qualification pour accéder à ce soutien financier sont établis afin de garantir que le FETR sera utilisé par des personnes qui ont une position établie sur le marché du travail, mais qui ont besoin d'actualiser ou de compléter leurs compétences pour assurer leur employabilité future29. Cela signifie que le groupe cible de ce FETR n'est pas constitué par les personnes qui entrent dans l'enseignement supérieur pour la première fois, puisque ce groupe est censé utiliser le système général de financement des études30. Cette nouvelle forme de soutien n'est pas non plus destinée à aider les personnes qui ont des difficultés à s'établir sur le marché du travail et qui, en tant que telles, peuvent avoir besoin d'une formation initiale ou d'un développement de leurs compétences. Pour ce groupe, la formation est plutôt disponible par le biais de l'enseignement pour adultes dans le cadre du système d'enseignement général et des programmes proposés par l'Agence publique pour l'emploi31. Seul un nombre limité de travailleurs de plateformes rempliront ces conditions. Les critères de qualification consistent en des exigences liées au travail (position de la personne sur le marché du travail, existence et maintien du travail au moment de la formation) ainsi qu'en des exigences liées à l'éducation (valeur de la formation sur le marché du travail).

Il faut ensuite se tourner vers les critères concernant la formation. Il en existe deux types : des exigences liées au travail et des exigences liées à la valeur de l'enseignement sur le marché du travail. En ce qui concerne les exigences liées au travail, il faut déterminer si la personne peut être considérée comme établie sur le marché du travail. Ce critère consiste à exiger que la personne ait travaillé en moyenne au moins 16 heures par semaine au cours d'un mois civil pendant au moins 96 mois au cours d'une période de 14 ans32. L'exigence de continuité du travail est complétée par une exigence d'établissement en ce sens que le travailleur doit être établi sur la durée. Plus précisément, la moyenne de 16 heures de travail par semaine au cours d'un mois civil doit également avoir été respectée pendant au moins 12 mois au cours des 24 derniers mois33. Dans certains cas, il peut être difficile de prouver le nombre d'heures travaillées par semaine, ou encore d’arriver à un nombre d’heures suffisant par semaine, en particulier pour les travailleurs de plateformes qui sont constamment surveillés du fait de la numérisation de leurs activités, mais qui doivent travailler abondamment pour obtenir un salaire décent. Mais il est également possible de remplir les critères de qualification liés au travail en percevant un niveau minimum de revenu pendant les périodes fixées pour la position établie et le travail actuel34. Cette disposition vise à permettre à certaines personnes, par exemple les travailleurs indépendants, de remplir plus facilement les critères de qualification35. Le décompte du délai-cadre de 14 ans peut commencer l'année civile suivant le 19e anniversaire de la personne36, ce qui, pour de nombreuses personnes, correspond également à la première année civile suivant la fin de l'enseignement secondaire supérieur. La limite d'âge et la nécessité d'avoir travaillé un certain temps après, vraisemblablement, la fin de l'enseignement secondaire supérieur sont fixées de manière à garantir que les jeunes et les personnes ayant moins d'expérience professionnelle utilisent plutôt le système général de financement des études37.

Le nombre relativement faible d'heures de travail par semaine requis38 se justifie par l'idée que les critères de qualification doivent être flexibles. Cette flexibilité est importante pour garantir que les personnes travaillant à temps partiel ne soient pas automatiquement exclues, étant donné que la nécessité d'une reconversion est susceptible d’être accrue pour les personnes ayant des formes de travail ou d'emploi vulnérables39. Toutefois, le travail pris en compte dans le calcul des critères de qualification doit avoir été l'occupation principale de la personne au cours de la période considérée40. Le travail effectué ou le revenu gagné en tant qu'activité secondaire, par exemple en termes de travail supplémentaire pendant des études à temps plein, ne doit pas être inclus41. On note une exception pour certaines formes de prestations de sécurité sociale telles que les allocations de congé parental ou de maladie qui peuvent être inclues et calculées comme temps de travail dans une limite de 24 mois42. Le niveau minimum de revenu à considérer pour remplir l'exigence de travail mensuel est actuellement fixé à 25 pour cent du revenu de base mensuel tel que défini conformément aux dispositions pertinentes du droit fiscal suédois43. La possibilité de remplir les critères liés au travail au moyen d'un niveau minimum de revenu au lieu d'heures de travail documentées peut être intéressante pour les travailleurs des plateformes. En effet, ces derniers sont susceptibles d'avoir des modèles de travail plus irréguliers et de combiner le revenu de leur travail avec celui de leur propre entreprise. Cette construction des critères de qualification augmente donc les chances pour les travailleurs de plateformes d'accéder au FETR.

Toutefois, pour mieux comprendre l'accessibilité de ce système, il faut prendre en considération les autres critères de qualification, relatifs à la valeur de l'enseignement en question sur le marché du travail. La principale condition du financement est que la formation doit être dispensée par un établissement d'enseignement en Suède44, ce qui diffère du système général de financement des études, qui peut également être accordé pour des études à l'étranger. Les études à l'étranger sont définies en fonction du lieu où se trouve l'établissement qui les dispense et, à ce titre, l'enseignement à distance dispensé par un établissement situé en dehors de la Suède entre également dans cette définition. La raison de cette limitation est que le législateur a considéré que les études à l'étranger augmentaient le risque d'abus du système45. En outre, les études doivent durer au minimum une semaine et au maximum 80 semaines à temps plein46, bien que, pour les personnes âgées de 40 ans et plus, les études puissent durer plus de 80 semaines47. La limitation de la durée des études, pour les personnes âgées de 39 ans ou moins, est liée au fait que le financement de ces formations est destiné à compléter l'aide générale au financement des études générales. Cette limite vise donc à garantir que le nouveau système ne risque pas de faire double emploi avec le système général de financement des études et qu'il n'incite pas à reporter ou à retarder les études. Dans le même temps, la durée de 80 semaines permet de prendre en charge plusieurs programmes de formation pour des professions pour lesquelles il existe un manque de compétences en Suède, par exemple les infirmières spécialisées, les sages-femmes, les électriciens ou les mécaniciens48. L'enseignement doit également être dispensé à un niveau minimum de 20 % du temps plein pour être éligible au FETR49. L'exigence selon laquelle l'enseignement doit apporter une valeur ajoutée par rapport au marché du travail est formulée à la fois en termes d'exigence positive, ce que l'enseignement doit permettre d'atteindre50, et d’exigences négatives, ce pour quoi l'enseignement ne peut pas être financé.

L’exigence positive consiste en une évaluation complexe, même si certaines formations professionnelles spécifiques, telles que les professions d'infirmier spécialisé, de sage-femme et d'artisan, sont clairement mentionnées dans les actes préparatoires51. Des clarifications plus détaillées dans le cadre de cette évaluation devraient être apportées par la jurisprudence, mais certaines considérations générales pouvant servir de guide figurent dans les actes préparatoires. L'évaluation devra prendre en considération la situation et les conditions du demandeur en ce qui concerne l'éducation, les compétences et les expériences de vie professionnelle déjà acquises. En fonction de la situation de l'individu, il convient en outre d'évaluer si l'éducation renforcera la position future de l'individu dans son domaine de travail actuel ou lui permettra de changer d'emploi. Cela exclut donc les formations qui seraient orientées vers un développement personnel plus axé sur les loisirs52.

L'état du marché du travail et les possibilités pour la personne d'accroître ses chances de travailler grâce à l'éducation doivent être dûment pris en compte. Cela signifie que les formations qui apporteront des compétences spécialisées supplémentaires dans des domaines où il y a une pénurie de personnel seront évaluées plus positivement que les formations orientées vers des professions où la concurrence est déjà forte et où il y a un excédent de travailleurs. Cela sera particulièrement important pour les personnes cherchant à changer de profession, qui en principe ne bénéficieront pas de l'aide si la formation est considérée comme relevant d'une catégorie de professions où la concurrence est rude entre les personnes déjà actives53. L'impact sur les travailleurs des plateformes est très difficile à évaluer, notamment en raison du fait que ceux-ci constituent un groupe hétérogène travaillant dans un large éventail de domaines. Les travailleurs des plateformes qui effectuent des travaux manuels sur place, tels que les livreurs, peuvent être soumis à des limitations quant aux formations accessibles, étant donné qu'ils devraient probablement changer de travail pour développer des compétences et des aptitudes dans un domaine où il y a une pénurie de personnel. Il se peut que les formations aux métiers de l'artisanat soient plus pertinentes pour les travailleurs des plateformes que les formations aux professions spécialisées dans les soins de santé, parce que ce secteur des soins ne connaît pas véritablement par le biais des plateformes à l’heure actuelle en Suède54. Toutefois, des statistiques plus détaillées sur le travail de plateforme en Suède seraient nécessaires pour vérifier ce point.

Les exigences négatives ou en d’autres termes les formes d'éducation pour lesquelles le FETR ne peut être accordé sont au nombre de trois. Premièrement, il ne peut être accordé pour une formation qui vise uniquement à répondre aux besoins en compétences d'un employeur spécifique55. Deuxièmement, il ne peut être accordé pour une formation que l'employeur devrait raisonnablement prendre en charge pour que le travailleur puisse effectuer ses tâches habituelles56. Troisièmement, il ne peut être accordé pour une formation que le demandeur a déjà suivie et pour laquelle il dispose d'un diplôme, d'une note finale ou d'une autre forme de certificat d'études57. Ces limitations sont établies afin de garantir que l'enseignement pour lequel le financement des études est accordé apporte une valeur ajoutée à la position de l'individu sur le marché du travail en termes de développement réel des compétences58. Cela signifie que si un individu possède déjà un certain diplôme, mais que le contenu de ce diplôme a changé de manière significative et que l'individu a donc besoin d'assurer des connaissances actuelles pour rester employable dans la profession, il peut recevoir un FETR pour cet enseignement59.

Il est également difficile d'évaluer dans quelle mesure ces limitations excluraient les travailleurs des plateformes de l'accès au FETR, en raison du manque de connaissance de leur situation en ce qui concerne leur éducation antérieure. Une brève discussion sur les possibilités d'accès des travailleurs des plateformes à la formation tout au long de la vie en Suède est néanmoins utile sur la base de ce qui a été présenté dans cet article et la section suivante résumera les remarques pertinentes et tentera de fournir quelques conclusions.

Finalement, il convient tout d’abord de souligner que le système général d'éducation et de financement des études en Suède offre des possibilités assez larges aux personnes d'accéder à l'éducation et à la formation à l'âge adulte, qu'elles soient ou non des travailleurs de plateformes. Toutefois, il est difficile d'évaluer dans quelle mesure le nouveau financement des études pour la transition et la reconversion (FETR) affectera l'accès des travailleurs des plateformes à l'apprentissage tout au long de la vie en Suède. Cela est dû à plusieurs raisons. Outre le manque de statistiques fiables, il faut souligner que les travailleurs des plateformes en Suède sont hétérogènes, avec des compétences, une formation antérieure, une profession et une intensité de travail variables. Certains peuvent diriger leur propre entreprise, par exemple dans le domaine du graphisme ou en tant qu'artisan, et n'ont recours au travail à distance qu'occasionnellement pour compléter leurs revenus pendant une période où les missions sont moins nombreuses. D'autres peuvent être très dépendants du travail de plateforme pour gagner leur vie, être issus d'un milieu où le niveau d'éducation est moins élevé et être actifs dans un domaine où il y a un surplus de travailleurs, comme les livreurs. L'hétérogénéité des travailleurs des plateformes en termes d'intensité de travail signifie qu'il est difficile de tirer des conclusions générales sur la question de savoir s'ils sont susceptibles de remplir les critères de qualification en termes d'établissement sur le marché du travail à l'heure actuelle ou s'ils continueront à travailler sur des plateformes d'une manière qui leur permettra à l'avenir de remplir les critères de qualification.

Le critère de qualification complémentaire en termes de niveau minimum de revenu sera positif pour les travailleurs de plateformes qui dirigent leur propre entreprise et utilisent ce travail de plateforme pour compléter leur revenu. Ce critère leur permettra d'atteindre le niveau minimum de revenu même pendant les périodes où ils ont moins de missions au sein de leur propre entreprise. Étant donné que les travailleurs des plateformes ont tendance à être assez jeunes, il n'est pas improbable que nombre d'entre eux n'aient pas encore été actifs sur le marché du travail pendant une période suffisamment longue pour remplir les critères de qualification. Pour ceux dont le travail de plateforme n'est qu'une activité secondaire, celui-ci ne leur permettra pas d'accéder au FETR. Pour ces groupes de travailleurs, il faudra se tourner vers le financement général des études qui pourrait être un moyen de développer leurs compétences par le biais de l’éducation et non de la formation.

En ce qui concerne le contenu de l'enseignement qui pourrait permettre aux travailleurs des plateformes qui remplissent les conditions requises d'accéder au FETR, l'hétérogénéité de ces travailleurs rend également difficiles des conclusions générales. Il se peut que ce système soit plus pertinent pour les travailleurs de plateformes actifs dans les professions artisanales qui cherchent à compléter leurs compétences afin d'obtenir un avantage concurrentiel sur le marché du travail, alors que les livreurs auront moins d’intérêt pour ce financement et un accès plus difficile. À titre d'exemple, un électricien possédant une formation de base pour travailler avec du courant alternatif et souhaitant suivre une formation pour acquérir des compétences spécialisées pour travailler avec du courant continu pourrait avoir plus de chances qu'un livreur à vélo souhaitant obtenir un permis de conduire pour pouvoir effectuer des livraisons en voiture à la place.

Conclusion

En conclusion, l'avenir nous dira si le travail de plateforme deviendra une forme de travail permettant aux personnes de s'établir sur le marché du travail suédois et dans quelle mesure le FETR deviendra également un moyen pour ces travailleurs de plateforme d'obtenir un meilleur accès à la formation tout au long de la vie. Il est très probable qu’il faudra distinguer entre les travailleurs des plateformes des différents secteurs du marché du travail, d’autant plus que les besoins du marché sont pris en compte dans la décision d’allocation du financement. Pour mieux comprendre la situation des travailleurs de plateformes, il serait utile de compléter cette étude par une recherche sociologique.

Notes

  • 1. L’auteur tient à remercier Claire Marzo pour la traduction de cet article.
  • 2. Pour une discussion sur la question des décisions relatives à la base de revenus pour les régimes de sécurité sociale en relation avec les travailleurs des plates-formes, voir Hartzén, A-C. (2023) Plattformsarbetare och sjukpenninggrundande inkomst – lika, men ändå olika? in Förvaltningsrättslig tidskrift No. 1, 51-69.
  • 3. Chapitre 2, section 18 Instrument de gouvernement (1974:152).
  • 4. Voir par exemple le chapitre 7, section 3 de la loi sur l'école (2010:800).
  • 5. Des informations facilement accessibles sur le système scolaire suédois sont disponibles sur la page web de l'Agence nationale suédoise pour l'éducation, voir https://www.skolverket.se/andra-sprak-other-languages/english-engelska (dernière visite le 5 mars 2024).
  • 6. Il s'agit d'une explication simplifiée et courte des exigences réglementées dans le chapitre 1, articles 4 à 9 de la loi (1999:1395) sur le financement des études.
  • 7. Le Conseil suédois du financement des études fournit des informations sur ce système sur sa page web, voir https://www.csn.se/languages/english.html (dernière visite le 5 mars 2024).
  • 8. Chapitre 3, article 3 de la loi sur l'environnement de travail (1977:1160).
  • 9. L'autorité chargée de l'environnement de travail est habilitée à publier des règlements qui précisent les objectifs fixés par la loi sur l'environnement de travail. De tels règlements régissant les exigences de compétences spécifiques existent, par exemple en ce qui concerne les exigences de sécurité pour les travaux de plongée sous-marine, la manipulation de produits chimiques ou les travaux de démolition, etc. Voir Ericson, B. et Gustafsson, K. (2014) Arbetsmiljölagen med kommentar. Studentlitteratur, pp. 93 et suivantes.
  • 10. Ericson, B. et Gustafsson, K. (2014) Arbetsmiljölagen med kommentar. Studentlitteratur, p. 26.
  • 11. Le chapitre 3, article 5 de la loi sur l'environnement de travail précise la responsabilité de l'entrepreneur lui-même en ce qui concerne le respect des réglementations relatives à l'environnement de travail pour le travail qu'il effectue lui-même.
  • 12. Article 7 de la loi sur la protection de l'emploi (1982:80).
  • 13. Pour un examen plus approfondi de cette question, avec référence à la jurisprudence pertinente, voir Ulander-Wänman, C. (2018) Bristande arbetsprestationer och arbetstagares rätt till kompetensutveckling. in Juridisk Tidskrift, No. 3, 633-651 and for a brief discussion in English see section 4 in Ulander-Wänman, C. (2017) The Swedish Model and challenges on the labour market: can a competence insurance scheme be one solution? in Edström, Ö., Lindholm, J. and Mannelqvist, R. (Eds.) Jubileumsskrift till Juridiska institutionen 40 år. Juridiska institutionen, Umeå universitet.
  • 14. Article 4 de la loi sur la protection de l'emploi.
  • 15. L'article 14 de la loi (2022:856) sur le financement des études pour la transition et la reconversion précise que le niveau de revenu à utiliser pour le calcul du financement des études est basé sur le niveau de revenu utilisé par l'Agence nationale pour la sécurité sociale en relation avec le niveau de revenu de l'étudiant.
  • 16. Le financement des études pour la transition et la reconversion est en ce sens un système plus généreux que le système général de financement des études qui fournit un niveau de revenu très basique comme mentionné ci-dessus.
    [La construction plus avantageuse du financement des études pour la transition et la formation, telle qu'elle figure dans les conventions collectives, est liée au fait que les plafonds fixés pour le niveau de revenu et le pourcentage du revenu précédent qui peuvent être accordés au total sont plus élevés dans le système basé sur les négociations collectives que dans le système législatif. Cela signifie que plus une personne est bien payée, plus la différence est grande entre le montant accordé par le système basé sur les conventions collectives et le montant que la personne obtiendrait par le biais du financement d'études pour la transition et la reconversion prévu par la loi. Pour un
  • 17. La tradition des conventions collectives réglementant certaines prestations liées à la sécurité sociale, notamment l'aide à la transition, est examinée dans Johansson, C. (2020) Occupational Pensions and Unemployment benefits in Sweden. in International Journal of Comparative Labour Law and Industrial relations, Vol. 36, No. 3, 339-366. Le contexte de la est discuté dans Herzfeld-Olsson, P. (2022) Den svenska modellen i en ny era. in Selberg, N. et Sjödin, E. (Eds.) Anställningsskydd i utveckling. Iustus förlag, 127-148. et également mentionné dans le projet de loi du gouvernement Prop. 2021/22:176.
  • 18. Loi (2022:856) sur le financement des étudiants pour la transition et la reconversion et loi (2022:850) sur l'aide à la transition.
  • 19. Prop. 2021/22:176 pp. 289ff et Ds 2021:16, pp. 37ff.
  • 20. Article 1, paragraphe 2 de la loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion.
  • 21. Article 3 Loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion.
  • 22. Article 4 Loi sur le financement de la transition et de la reconversion des étudiants.
  • 23. La raison principale est qu'il est nécessaire d'assurer la possibilité de contrôler les coûts de ce système, Prop. 2021/22:176 pp. 284ff.
  • 24. L'article 10 de la loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion renvoie aux règles établies dans la loi sur le financement des études.
  • 25. Article 8 de la loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion. Jusqu'à l'âge de 62 ans, il sera toujours possible d'accéder à la partie prestation de cette aide financière pour un maximum de dix semaines. Les limites d'âge pour les prestations seront augmentées d'un an à partir du1er janvier 2026. La limite d'âge est la même que pour la partie prestations.
  • 26. Prop. 2021/22:176, pp. 175 et suivantes.
  • 27. Article 9 de la loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion.
  • 28. Weidensedt, L., Geissinger, A. et Lougui, M. (2020) Varför gigga som matkurir ? Förutsättningar och förväntingar bakom okvalificerat gig-arbete. Ratio, rapport n° 15, pp. 21 et suivantes.
  • 29. Prop. 2021/22:176, p. 179.
  • 30. Le livre blanc du gouvernement qui précède le projet de loi du gouvernement contient des précisions un peu plus détaillées à ce sujet, par exemple dans la section concernant les conditions de travail.
  • 31. Ceci est principalement exprimé en relation avec l'aide de base à la transition, voir le Livre blanc du gouvernement Ds 2021:16, pp. 45 et suivantes. Cependant, le groupe cible de base du financement des études pour la transition et la reconversion est le même, bien que l'aide à la transition de base impose une restriction supplémentaire en termes de situation de licenciement.
  • 32. Article 6, paragraphe 1, point 1 a de la loi sur le financement de la transition et de la reconversion des étudiants.
  • 33. Article 6, paragraphe 1, point 1 B de la loi sur le financement de la transition et de la reconversion des étudiants.
  • 34. Article 6, paragraphe 1, point 2 de la loi sur le financement de la transition et de la reconversion des étudiants.
  • 35. Prop. 2021/22:176, pp. 179ff.
  • 36. Article 6, paragraphe 1, point 1 a de la loi sur le financement de la transition et de la reconversion des étudiants.
  • 37. Prop. 2021/22:176, pp. 179 et suivantes.
  • 38. 16 heures par semaine représentent 40 % du nombre maximal d'heures pour une semaine de travail normale, tel que défini à l'article 5 de la loi sur le temps de travail (1982:673).
  • 39. Prop. 2021/22:176, pp. 179 et suivantes.
  • 40. Article 6, paragraphe 3 de la loi sur le financement de la transition et de la reconversion des étudiants.
  • 41. Prop. 2021/22:176, p. 183.
  • 42. Article 6 du règlement (2022:857) sur le financement des études pour la transition et la reconversion. Ce règlement précise certaines questions relatives à la procédure de demande et à l'administration du système de soutien.
  • 43. Article 8 Règlement sur le financement des études pour la transition et la reconversion.
  • 44. Article 13 de la loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion.
  • 45. Prop. 2021/22:176, pp. 18. et s.
  • 46. Article 14, paragraphe 1, loi sur le financement de la transition et de la reconversion des étudiants.
  • 47. Article 14, paragraphe 2, de la loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion. Il convient de noter que le financement des études pour la transition et la reconversion peut être accordé pour un maximum de 44 semaines, voir l'article 21 de la loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion, ce qui signifie qu'une personne participant à un enseignement d'une durée de 80 semaines devra disposer d'autres moyens pour subvenir à ses besoins pendant presque toute la durée de l'enseignement.
  • 48. Prop. 2021/22:176, p. 195 et suivantes.
  • 49. Article 16 de la loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion.
  • 50. L'exigence positive est que la formation doit permettre de renforcer la position future du demandeur sur le marché du travail, compte tenu des besoins de ce dernier. Article 15, paragraphe 1 Loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion.
  • 51. Prop. 2021/22:176, p. 197.
  • 52. Prop. 2021/22:176, p. 202.
  • 53. Prop. 2021/22:176, p. 203.
  • 54. Une description générale et peu détaillée des statistiques concernant le travail sur plateforme en Suède est fournie dans Weidensedt, L., Geissinger, A. et Lougui, M. (2020) Warum gigga som matkurir ? Conditions et attentes derrière le gig work non qualifié. Ratio, rapport n° 15, pp. 21 et suivantes.
  • 55. Article 15, paragraphe 2, point 1 de la loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion.
  • 56. Article 15, paragraphe 2, point 2 Loi sur le financement des études pour la transition et la reconversion.
  • 57. Article 15, paragraphe 2, point 3 Loi sur le financement des étudiants pour la transition et la reconversion.
  • 58. Ds 201:18, pp. 140 et s.
  • 59. Prop. 2021/22:176, pp. 204 et s.

Auteurs


Ankie HARTZÉN

https://orcid.org/0000-0003-4277-0460

Pays : Sweden

Pièces jointes

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