Introduction Le droit à la formation et la formation au droit des travailleurs de plateformes numériques
Résumé
Comprendre le droit à la formation et la formation au droit des travailleurs de plateformes numériques comme des chauffeurs Uber, des livreurs Deliveroo ou encore des femmes de ménage Wecasa implique de se pencher à la fois sur la réalité de leur travail et sur les droits de ces travailleurs en adoptant des perspectives juridiques mais aussi sociologiques. L’introduction du premier numéro de la Revue des Plateformes numériques est l’occasion de réfléchir à la mondialisation et à l’interdisciplinarité du phénomène en s’appuyant sur les résultats du projet CEPASSOC (n° Projet N° ANR-20-CE26-001-01, https://cepassoc.hypotheses.org/). Il y est conclu que ni l’accès à la formation, ni le droit à la négociation collective des travailleurs de plateformes numériques ne sont satisfaisants dans les cadres juridiques actuels, puis la logique des différentes contributions de ce numéro est présentée.
Introduction
Une représentation naïve, condescendante, consiste à croire qu’il suffirait d’enseigner le droit de manière claire pour sortir les individus de leur enfermement et les amener à la liberté syndicale ou encore au respect des droits fondamentaux. Une simple formation des êtres humains, un enseignement théorique suffirait à former les esprits et dès lors améliorer les cœurs et la société dans son ensemble.
Mais la réalité est un peu plus complexe. Pour Michael McCann, sociologue du droit, il faut examiner les droits du travail et les droits au travail pour comprendre le rôle joué par la référence aux droits subjectifs sur les droits sociaux
Cette affirmation est intéressante parce qu’elle permet d’associer formation, droit et négociation collective. D’une part, la qualification juridique, exercice inhérent à la matière du droit, permet de penser, de mettre en mot, de conceptualiser des revendications. En d’autres termes, le droit conduit à l’énonciation de revendications, à la négociation et dès lors aussi à la négociation collective. Ensuite, il faut ajouter que la formation au droit conduit à l’accès au droit, mais aussi de façon pragmatique à la réunion, à l’association des travailleurs qui se forment. Enfin, la négociation collective peut renforcer les droits des travailleurs et leurs droits à des formations (collectives ou cette fois-ci individuelles).
Droit, Formation et Négociation collective constituent un triangle conceptuel. Les trois concepts se répondent et se construisent mutuellement. Ils grandissent ensemble. Cette approche sociologique nous invite à envisager en miroir le droit à la formation et la formation au droit. Il s’agit pour le dire autrement de rechercher dans quelle mesure le droit à la formation est protégé et dans quelle mesure il peut conduire à la formation au droit ou à la protection collective des droits et à la négociation collective. Il s’agit de rechercher si le droit à la formation peut être conçu d’une façon collective –au-delà de son caractère individuel- pour se traduire par la construction d’une certaine solidarité –qui pourrait conduire à une association, voire à une collaboration, un partage des informations et peut-être à l’émergence d’une négociation collective. Il s’agit encore, en symétrique, de comprendre si la négociation collective contribue à une formation au droit des travailleurs.
Le troisième volet du projet CEPASSOC
Les plateformes numériques ont fait leur apparition il y a une quinzaine d’années grâce au développement de l’Internet et de nouvelles techniques managériales permises notamment par la géolocalisation et la communication en ligne instantanée. Le travail de plateformes est aujourd’hui défini comme « une forme d’emploi dans laquelle les organisations ou les individus utilisent une plateforme en ligne pour accéder à d’autres organisations ou individus pour résoudre des problèmes ou prester des services en échange d’un paiement »
On distingue entre les travailleurs de plateformes in loci et les travailleurs de plateformes en ligne. Les premiers exécutent des tâches sur place, par exemple des livraisons ou le transport de personnes ou encore des ménages ou des coiffures (deliveroo, Uber, Wecasa…). Ils peuvent prester toute sorte de services (staffme) et on trouve aujourd’hui aussi bien des psychologues, des aides-soignants (mediflash) que des monteurs de meubles (Task Rabbit). Les seconds travaillent derrière un écran. S’ils font du microtravail, ils pourront par exemple procéder à des traductions d’un mot ou d’une phrase ou au visionnage d’images afin de vérifier qu’elles ne choqueront pas le public (Amazon Mechanical Turkc, Foule Factory). Ils peuvent aussi réaliser des tâches plus importantes comme par exemple du design (Upwork). Les classifications sont nombreuses et ont été recensées par Eurofound
Ce statut de travailleur indépendant tient à la liberté présumée des travailleurs qui peuvent choisir de se connecter ou non à la plateforme pour travailler quand ils le souhaitent par opposition aux salariés qui sont subordonnés aux employeurs dans un temps de travail déterminé. C’est cette idée qui conduit à penser que le travail de plateformes n’est qu’un ‘petit boulot’ qui ne requiert pas une véritable protection sociale ou un vrai droit du travail. Mais qu’en est-il lorsque le petit boulot devient un gagne-pain et que le métier n’assure pas une rémunération, une protection, une vie digne ou encore un droit à la formation à son détenteur ?
La question de la formation des travailleurs de plateformes doit être envisagée afin de comprendre les implications de ce nouveau type de travail et le rôle du législateur. Il apparaît que le droit à la formation des travailleurs de plateformes n’est pas très développé et ce, dans le monde entier. De même, et en miroir, la formation au droit et le droit à la négociation collective de ces travailleurs laissent souvent à désirer (I). Pourtant, ces deux côtés de la pièce, la formation et la négociation sont au cœur du travail et du travail de plateformes et cela apparaît particulièrement dans les analyses sociologiques (II). Enfin, pour conclure, nous présentons la logique des contributions qui constituent ce numéro (III).
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I. Une formation au droit et un droit à la formation presque inexistants juridiquement
S’il faut résumer en un mot le droit à la formation des travailleurs de plateformes, on dira qu’il n’y a pas de sujet. Les travailleurs de plateformes n’ont en général pas ou peu de droit à la formation (A). De même, et en miroir, la négociation collective est le plus souvent oubliée dans le cadre du droit du travail de plateformes (B).
A. Le droit à la formation presque ignoré dans le cadre du travail de plateformes
Le droit à la formation est le plus souvent oublié dans le cadre de l’encadrement du travail de plateformes. La formation, définie au sens large comme l’apprentissage tout au long de la vie, se scinde en la formation professionnelle initiale d’une part et la formation continue d’autre part. Alors qu’on a tendance à considérer que la formation continue tout au long de la vie devrait permettre de disposer d’une main-d’œuvre adaptable et mobile
Alors que le droit à la formation initiale pourrait trouver à s’appliquer à toutes les personnes, citoyens ou résidents au-delà des travailleurs, le droit à la formation continue ou tout au long de la vie serait parfois réservé aux seuls salariés. Selon les États, on identifiera un droit plus ou moins complexe et à vocation plus ou moins universelle.
Cette universalité se retrouve d’abord au niveau international. L’Organisation internationale du travail (OIT) a adopté une recommandation n°208 concernant les apprentissages de qualité en juin 2023
L’universalité se retrouve encore au niveau national. Mais le constat reste celui d’un droit limité ou difficile à appliquer aux travailleurs de plateformes. Nous renverrons aux exemples nationaux –français, suisse, suédois, britannique– du dossier, mais nous nous ne prendrons qu’une illustration ici en nous attardant sur le droit de l’Union européenne du fait de son actualité. Au niveau de l’Union européenne- au-delà de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de son article 14 §1, de la Charte des Droits sociaux fondamentaux qui proclame que « toute personne a droit à l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et continue » et du socle européen des droits sociaux qui promeut la formation
Lorsque le législateur européen a proposé une directive relative au travail de plateformes
Ce texte ne s’intéressait pas particulièrement à la formation des travailleurs de plateformes, il impliquait néanmoins que ceux-ci ont un accès à la formation nationale classique en fonction de leur statut. S’ils sont requalifiés et considérés comme des salariés, ils auront les mêmes droits que ceux-ci en termes de formation
Une seule précision était donnée par la proposition de directive : le droit à la formation ne devait pas avoir d’incidence sur la qualification du statut du travailleur de plateforme
La nouvelle version du texte précise que l'accès à la formation apparaît parmi les différents éléments qui peuvent faire l’objet d’un usage intensif de systèmes automatisés de suivi ou de prise de décision et qui doit par conséquent faire l’objet d’une supervision humaine
B. La formation au droit et la négociation collective presque oubliée dans le cadre de la régulation du travail de plateformes
La formation au droit est, de concert, le plus souvent oubliée dans le cadre du travail de plateformes. Il faut noter une spécificité qui tient à son instrumentalisation. On le voit aussi dans la proposition de directive sur le travail de plateformes et dans les exemples du dossier –France, États-Unis, Union européenne, Brésil, Portugal.
L’article 28 de la version finale de la directive montre comment le droit à la négociation collective est mentionné tout en étant dilué : comme l’indique son titre « conventions collectives et règles spécifiques sur le traitement des données à caractère personnel », l’objet n’est pas la négociation collective et un tel droit n’est pas reconnu. Par contre les États peuvent utiliser la négociation collective pour encadrer ce travail. Il est noté que « les États membres peuvent, par la loi ou par des conventions collectives, prévoir des règles plus spécifiques pour assurer la protection des droits et libertés en ce qui concerne le traitement des données à caractère personnel des personnes exécutant un travail sur une plateforme »
L’article 25 promeut même la négociation collective dans le travail sur plateforme. En effet, « les États membres prennent, sans préjudice de l'autonomie des partenaires sociaux et en tenant compte de la diversité des pratiques nationales, des mesures adéquates pour promouvoir le rôle des partenaires sociaux et encourager l'exercice du droit à la négociation collective dans le travail sur plateforme, y compris des mesures visant à vérifier le statut professionnel correct des travailleurs des plateformes et à faciliter l'exercice de leurs droits liés à la gestion algorithmique énoncés au chapitre III de la présente directive ». La distinction déjà souvent rappelée entre droits et principes inaugurée lors de la rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne se retrouve ici et ce principe n’a pas la valeur d’un droit à la négociation collective.
Par contre, l’article 7 relatif à « la limitation du traitement des données à caractère personnel au moyen de systèmes automatisés de suivi ou de prise de décision », reconnaît bien, lui, un droit du travailleur ou plutôt une limitation au pouvoir de la plateforme : « les plateformes numériques de travail ne peuvent, au moyen de systèmes automatisés de suivi ou de prise de décision […] traiter des données à caractère personnel pour prédire l'exercice des droits fondamentaux, y compris le droit d'association, le droit de négociation et d'action collectives ou le droit à l'information et à la consultation, tels qu'ils sont définis dans la charte »
Il n’existe donc pas un véritable droit à la négociation collective du travailleur de plateformes. On identifie toutefois une tentative du législateur européen qui commence à poser les bases d’un tel droit. Il faut ainsi noter que le droit à la négociation collective n’est que rarement reconnu aux travailleurs des plateformes, même si dans certains pays, comme la Suède, des accords ont été signés parce que ceux-ci sont au cœur de la régulation du travail et qu’ils trouvent à exister dans tous les secteurs
II. La formation au droit et le droit à la formation sociologiquement incontournables
Force est de noter avec les sociologues de ce dossier que la puissance formatrice d’une plateforme ou d’une entreprise est inhérente à celle-ci. Si un droit à la formation n’est pas reconnu ou peu encadré par le droit, la formation est toujours intrinsèquement nécessaire à l’activité. De même, une organisation collective des travailleurs doit permettre de répondre aux exigences managériales. Deux études sociologiques et des constatations tenant aux évolutions juridiques montrent qu’une formation pratique est toujours nécessaire (A) et que l’action collective et parfois la grève sont inhérentes au travail (B).
A. Une formation pratique toujours nécessaire
Si le droit n’a pas (encore) suivi et accompagné les travailleurs de plateformes, l’émergence d’un besoin correspond au processus identifié par Michael McCann
Par exemple, si Wecasa recrute globalement des employées déjà formées, « l’entreprise se considère […] comme une instance formatrice, bien qu’aucune de ces formations ne soit obligatoire à l’exception du visionnage des sept vidéos aussitôt après le recrutement qui sont suivies d’un questionnaire. Elle propose ainsi deux types de formation : d’un côté, chaque mois, Wecasa propose une nouvelle « masterclass » en ligne, gratuite, d’une durée d’une heure, où chacun peut s’inscrire. Ces masterclass sont ensuite disponibles via l’application en ligne pour tous les travailleurs Wecasa. De l’autre côté, l’entreprise propose également des formations en présentiel, payantes, à l’échelle de plusieurs heures, voire de plusieurs journées »
Pour aller plus loin, les plateformes cherchent à fidéliser leurs travailleurs. Des plateformes florissantes comme Deliveroo ou Uber ont développé des programmes de formation à destination de leurs travailleurs
On comprend que la formation est une part essentielle du travail de plateforme. Et parce que formation au droit et droit à la formation vont main dans la main, il est logique que, comme la formation, la négociation collective émerge elle aussi au sein même du travail de plateformes.
B. Une négociation collective en émergence
Ici encore, et bien que le droit encadrant la négociation collective des travailleurs de plateformes ne soit qu’une ébauche, la réalité de l’apparition nécessaire de pratiques de négociation collective est intrinsèque au travail lui-même et les travailleurs et les travailleuses ont chacun dans leur secteur fait émerger des dialogues qui pourraient sur le long terme conduire à l’institution d’accords, voire d’un droit de la négociation collective, que ce soit au niveau national ou au niveau européen.
Le dossier qui fait suite à cet article en est un témoignage dans plusieurs pays et dans plusieurs secteurs. En complément, nous nous appuyons ici sur l’exemple français parce qu’il montre les liens entre la pratique et le droit. En premier lieu il faut noter que la plupart des secteurs de travail de plateformes s’épanouissent en dehors du droit de la négociation collective. Parce que les travailleurs sont le plus souvent des travailleurs indépendants, ils n’ont pas les droits des salariés en matière de comité d’entreprise, d’information et de consultation. Les travailleurs, qui sont des micro-entreprises, ont la charge de la défense de leurs droits par le biais de l’outil classique du contrat.
Cependant, des études sociologiques montrent que certains travailleurs éprouvent rapidement le besoin de s’allier pour se protéger collectivement. Ce ne sera pas toujours le cas, et parfois les obstacles sont trop nombreux, surtout lorsque le travail est individuel et isolé. Mais les études du projet CEPASSOC ont pu faire état d’une revendication salariale sur Facebook par des travailleuses qui a mené à une reconnaissance par la plateforme.
Il est intéressant de noter le difficile équilibre à trouver entre démocratie sociale et participation des travailleurs d’un côté et imposition étatique et filets de protection juridiques de l’autre.
En ce qui concerne le secteur des chauffeurs et livreurs de plateformes, le législateur français a organisé des élections de représentants. L’article 48 de la Loi LOM
Une première ordonnance du 21 avril 2021
Une seconde ordonnance, publiée le 6 avril 2022 et complétée par des décrets fin avril
En pratique, les élections ont été décevantes du point de vue des thématiques et du nombre de votants. Les premières élections de représentativité dans ces deux secteurs des plateformes de transport ont eu lieu du 9 au 16 mai 2022 et ont permis la désignation de sept organisations représentatives
L’écart entre le droit et la réalité appelle à une analyse nuancée qui devra être affinée en fonction du pays, du secteur, du droit étudié. C’est l’objectif des présentations de ce dossier.
III. Présentation des contributions de ce numéro
Après cette introduction fédératrice, est proposée de suivre le développement du droit à la formation des travailleurs de plateformes autour du monde dans une première partie avant d’envisager la formation au droit et l’accès à la négociation collective de ces mêmes travailleurs dans une seconde partie.
Dans la première partie, le constat est posé que le droit à la formation des travailleurs de plateformes numériques est peu ou pas reconnu.
Isabelle Daugareilh présente le droit à la formation des travailleurs de plateformes en France. Elle fait état d’un faux sujet, d’un sujet pratiquement inexistant. Et pourtant elle identifie une contrepartie à la présomption d’indépendance posée par le législateur français qui est constituée par la reconnaissance d’un droit à la formation des travailleurs indépendants.
Ankie Hartzen montre à son tour en Suède comment le droit à la formation a une réalité qui dépasse de loin le travail de plateformes, et cherche dans quelle mesure ces travailleurs du numérique sont pénalisés par leur activité pour accéder à la formation, même s’il faut bien reconnaitre que le système suédois est le plus riche de notre étude comparée.
Sabrine Magoga cherche, en Suisse, les moyens de transformer le droit à la formation afin que celui-ci soit plus adapté aux besoins des travailleurs de plateformes, mais force est de reconnaître que ce droit reste léger.
Jonathan Sellam s’intéresse au Royaume-Uni pour montrer les difficultés des travailleurs de plateformes à accéder à une formation depuis la destruction des syndicats. Il montre aussi cependant, et c’est une parfaite transition pour annoncer la partie suivante, que la formation en elle-même existe, au Royaume-Uni comme ailleurs dans le monde, au sein même des plateformes qui deviennent les dernières garantes, en l’absence de toute autre instance protectrice, d’une formation qu’elles pensent et construisent selon leurs propres modèles. C’est une formation orientée vers les besoins des plateformes, mais elle répond peut-être aussi parfois aux besoins des travailleurs, voire constitue un argument de valorisation de la plateforme aux yeux des travailleurs eux-mêmes et du public.
Aurore Koechlin et Fanny Gallot proposent une analyse sociologique du droit à la formation des travailleurs et des travailleuses de plateformes numériques en faisant état des résultats de l’étude de terrain qu’elles ont mené sur le cas de Wecasa. La conclusion est claire : la formation est nécessaire à la bonne marche d’une entreprise comme d’une plateforme et elle existe toujours indépendamment de la reconnaissance d’un droit.
Dans la seconde partie, la formation au droit et l’accès à la négociation collective des travailleurs de plateformes numériques sont scrutés dans plusieurs pays. On constate que l’action collective est faible et difficile, mais ici encore elle existe.
Lilla Berger, par le biais d’une analyse sociologique, s’intéresse aussi aux travailleuses de Wecasa pour comprendre non plus si elles sont formées, mais plutôt si et comment elles peuvent s’associer de façon informelle de façon à défendre leurs droits. La formation au droit apparaît ici sous une forme naissante, émergente et on retrouve les préceptes de McCann.
Matthieu Vicente part du droit syndical pour revenir à une analyse de deux arrêts de deux juridictions suprêmes nationales relatifs à des affaires de recours abusif à des travailleurs indépendants par des plateformes de livraison, la Cour de cassation en France à l’égard de la société TokTokTok et la Supreme Court du Royaume-Uni à l’égard de la société Deliveroo. Il met en lumière une métamorphose de la dimension personnelle de la relation de travail au sein des plateformes de livraison.
Donna Kesselman tire les mêmes conclusions dans le cadre d’un survol du droit des États-Unis. Elle propose une analyse sociologique de la législation du travail de plateformes au prisme du concept de la zone grise, outil heuristique montrant la puissance créatrice des plateformes dans un système juridique donné et décliné dans les différents États américains.
Natália Muniz montre à son tour par une analyse à la fois juridique et du terrain comment le droit brésilien résiste à une véritable mise en place d’une négociation collective même si des actions collectives apparaissent parfois et même si le droit évolue au niveau fédéral et dans certaines régions brésiliennes.
Enfin, Bruno Mestre propose une analyse juridique de la nouvelle loi portugaise sur les travailleurs de plateformes numériques qui reprend à son compte la proposition de directive sur le travail de plateformes avant que celle-ci ne soit formellement adoptée. Il montre à son tour comment le droit tâche d’accompagner et de modeler la réalité du travail de plateformes.
En somme, ce tour du monde théorique montre la force de résistance du droit. Le droit à la formation et la formation au droit se répondent, se construisent et se déconstruisent ensemble. Quand on constate que l’un n’est pas ou peu reconnu, on peut systématiquement conclure que l’autre est dans le même état. C’est ainsi qu’il faut voir que ces deux phénomènes ont été sévèrement attaqués à l’aune du droit du travail des plateformes numériques.
Mais une analyse internationale et pluridisciplinaire nous montre que la formation au droit et le droit à la formation sont aussi indestructibles. Ils réapparaissent toujours, ils sont inhérents au travail. De même que le travailleur a besoin d’être formé, l’entreprise ou la plateforme a besoin de former le travailleur et par conséquent cet aspect ne peut pas disparaître de la relation d’emploi comme de la relation de travail. En parallèle, la formation au droit ou pour l’appeler autrement l’émergence d’une revendication collective est inhérente à la réalité des conditions de travail et à leur négociation par les travailleurs et les donneurs d’ordre. Et ici encore cette réalité ne peut pas être trop longtemps écartée. C’est ainsi que ces phénomènes sont cycliques et s’ils disparaissent un temps, ils ont vocation à réapparaitre.
Ce dossier est peut-être finalement une réflexion sur l’irréductibilité du droit du travail qui reviendra toujours tel un phénix qui renaît de ses cendres.
Le projet CEPASSOC, interdisciplinaire (trois disciplines : droit, histoire et sociologie) et international (cinq ordres juridiques) porte sur la protection sociale des travailleurs de plateformes et les apports de la citoyenneté sociale. C’est un projet Jeune chercheur (ANR JCJC) soutenu par le laboratoire Marché, Institutions, Libertés (MIL) et coordonné par Claire Marzo (UPEC). Voir le site du projet ANR JCJC CEPASSOC N° ANR-20-CE26-001-01 : https://cepassoc.hypotheses.org/Notes
- 1. Michael W McCann, Rights at work: Pay equity reform and the politics of legal mobilization, 1994/7/15, University of Chicago Press.
- 2. Noé Wagener, Intervention au colloque CEPASSOC sur la formation des travailleurs de plateformes.
- 3. Le projet CEPASSOC a été l’occasion d’analyser trois droits des travailleurs de plateformes : l’accès aux soins, l’accès à un salaire minimum et finalement ici l’accès à la formation. Voir le site https://cepassoc.hypotheses.org/ et les contributions pertinentes : DOSSIER : L’accès aux soins des travailleurs de plateformes numériques, coordonné par Claire Marzo, Revue de droit sanitaire et social, Décembre 2022 ; Claire Marzo (dir.), Les salaires minimums des travailleurs de plateformes, Bruylant, Larcier, 2024, à paraître (juin).
- 4. https://www.eurofound.europa.eu/observatories/eurwork/industrial-relations-dictionary/platform-work; (15/4/20); Communication de la Commission européenne, COM 2016/184.
- 5. Sara Riso, « Digital Age, Mapping the Contours of the Platform Economy », Eurofound Working Paper, 2019, www.eurofound.europa.eu/sites/default/files/wpef19060.pdf [consulté le 23 septembre 2021).
- 6. Voir conférence de l’OIT, et en particulier C. MARZO, Assessment of the Innovativeness of the EU Proposals on Platform Work in Light of the Principle of Universality: Application in Three Countries (France, Sweden, Spain), CEPASSOC Project, in Eighth Regulating for Decent Work Conference, ILO headquarters, ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL (OIT), in Geneva, Switzerland on 10-12 July 2023.
- 7. Voir Claire Marzo, 2024 « Plateformes numériques et protection sociale des travailleurs », Les Cahiers Lysias, numéro spécial sur « les enjeux juridiques des plateformes numériques » coordonné par Beligh Nabli, Mars 2024.
- 8. Voir la contribution de Sabrine Magoga dans ce dossier.
- 9. Voir aussi la Convention 140 sur le congé à l’éducation payé, la Convention 142 sur la mise en valeur des ressources humaines de 1975 ainsi que la Recommandation 148 de 1974 et la Recommandation 195 de 2004.
- 10. Commission d’experts pour l’application des conventions te recommandations, Étude d’ensemble sur les instruments relatifs à l’emploi à la lumière de la Déclaration de 2008 sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, CIT, 99ème session, 2010, Rapport III. Voir aussi la contribution de I. Daugareilh dans ce numéro.
- 11. Le socle européen des droits sociaux de 2017 prévoit que « toute personne a droit à une éducation inclusive et de qualité, à la formation et à l’apprentissage tout au long de la vie afin de maintenir et d’acquérir des compétences qui lui permettent de participer pleinement à la vie en société et de gérer avec succès les transitions sur le marché du travail ».
- 12. Communication De La Commission, Réaliser un espace européen de l'éducation et de formation tout au long de la vie, COM (2001) 678 final, 21.11.2001.
- 13. Ibid.
- 14. Voir les articles 166 et 145 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
- 15. Proposition COM (2021) 762 final du 9.12.2021, Proposition de Directive Du Parlement Européen Et Du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.
- 16. Directive (UE) 2024/2831 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, JO L, 2024/2831, 11.11.2024.
- 17. Introduction de la proposition de directive 2021/762 : Les personnes qui, grâce à la détermination correcte de leur statut professionnel, seront reconnues comme travailleurs salariés bénéficieront de conditions de travail améliorées — notamment en ce qui concerne la santé et la sécurité, la protection de l’emploi, les salaires minimaux fixés par la loi ou par convention collective et les possibilités de formation — et auront accès à la protection sociale conformément aux règles nationales.
- 18. Voir le §3 du préambule : Le principe nº 5 du socle européen des droits sociaux, proclamé à Göteborg le 17 novembre 2017 , prévoit que, indépendamment du type et de la durée de la relation de travail, les travailleurs ont droit à un traitement égal et équitable concernant les conditions de travail, l’accès à la protection sociale et l'accès à la formation; que la flexibilité nécessaire doit être garantie pour permettre aux employeurs de s’adapter rapidement aux évolutions du contexte économique, conformément à la législation et aux conventions collectives; que des formes innovantes de travail garantissant des conditions de travail de qualité doivent être favorisées, qu’il convient également d’encourager l’entrepreneuriat et l’emploi non salarié et que la mobilité professionnelle doit être facilitée.
- 19. Voir le §23 de la proposition de directive 2021/762 : Garantir la détermination correcte du statut professionnel ne devrait pas empêcher l’amélioration des conditions de travail des véritables travailleurs non salariés qui exécutent un travail via une plateforme. Lorsqu’une plateforme de travail numérique décide — sur une base purement volontaire ou en accord avec les personnes concernées — de financer une protection sociale, une assurance accidents ou d’autres types d’assurance, des mesures de formation ou des prestations similaires en faveur des travailleurs non salariés travaillant par son intermédiaire, ces prestations en tant que telles ne devraient pas être considérées comme des éléments déterminants qui caractérisent l’existence d’une relation de travail.
- 20. §48 du préambule et article 11-1.
- 21. « En vertu des articles 9, 10 et 11, conformément à l'article 26, paragraphe 1 ». Voir l’article 28 de la proposition de directive.
- 22. « Qui, tout en respectant la protection globale des travailleurs des plateformes, établissent des dispositions concernant le travail sur plateforme qui diffèrent de celles visées aux articles 12 et 13 et, lorsqu'ils en confient la mise en œuvre aux partenaires sociaux conformément à l'article 29, paragraphe 4, de celles visées à l'article 17 ».
- 23. Voir article 7-1-d.
- 24. Voir la contribution a A. Hartzen dans Claire Marzo (dir.), Les salaires minimums des travailleurs de plateformes, Bruylant, Larcier, 2024, à paraître (juin).
- 25. Voir supra, introduction.
- 26. Voir la contribution de J. Sellam dans ce numéro.
- 27. Voir la contribution de A. Koechlin et F. Gallot dans ce numéro.
- 28. A. Basul, « Deliveroo Academy launches to give riders new business opportunities », UKIN, 14 mai 2019, https://www.uktech.news/news/deliveroo-academy-launches-to-give-riders-new-business-opportunities-20190514.
- 29. https://riders.deliveroo.be/fr/news/deliveroo-lance-la-rider-academy-en-belgique-1.
- 30. https://riders.deliveroo.co.uk/en/perks.
- 31. Voir J. Sellam dans ce numéro.
- 32. https://skillshub.online/.
- 33. J. Lutrario, « Deliveroo launches virtual training academy », Restaurant, 24 mars 2023, https://www.restaurantonline.co.uk/Article/2023/03/24/Deliveroo-launches-virtual-training-academy.
- 34. Voir la contribution de F. Gallot, A. Koechlin dans Claire Marzo (dir.), Les salaires minimums des travailleurs de plateformes, Bruylant, Larcier, 2024, à paraître (juin).
- 35. Ibidem.
- 36. Ibidem.
- 37. Loi d’orientation des mobilités n°2019-1428 du 24.12.19. (6) Pour rappel, les critères de représentativité des organisations syndicales sont : le respect des valeurs républicaines, l’indépendance, la transparence financière, l’ancienneté minimale, l’audience, l’influence, les effectifs d'adhérents et les cotisations.
- 38. Malgré leur proximité, CEDH 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, 34503 /97.
- 39. Article L2311-1 du Code du travail et suivants.
- 40. n°2021-484.
- 41. https://www.cfdt.fr/portail/vos-droits/contrats-de-travail/autres-formes-d-emploi/actualite/contrats-de-travail-et-autres-formes-d-emploi/travailleurs-des-plateformes-representation-et-negociation-acte-final-srv2_1234095
- 42. n°2022-492.
- 43. Voir supra.
- 44. Décrets n°2022-650 et n°2022-651 du 26.04.2022. Les décrets publiés le 26 avril précisent les règles d’indemnisation des temps de formation et de délégation.
- 45. B. Metling et al., Transformation numérique et vie au travail, Rapport, 12 mars 2021, https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_mettling_-transformation_numerique_vie_au_travail.pdf.
- 46. AVF : Association des VTC de France (42,81%) ; Union-Indépendants (11,51%) ; ACIL : Association des Chauffeurs Indépendants Lyonnais (11,44%) ; FO : Force Ouvrière (9,19%) ; FNAE : Fédération Nationale des autoentrepreneurs et micro-entrepreneurs (8,98%) ; CFTC : Confédération française des travailleurs chrétiens (8,84%) ; UNSA : Union nationale des syndicats autonomes (7,23%)
- 47. FNAE : Fédération Nationale des autoentrepreneurs et micro-entrepreneurs (33,97%) ; CGT : Confédération générale du travail (32,58%) ; UNION-Indépendants (26,66%) ; SUD Commerces : Fédération SUD commerces et Services (6,79%).
- 48. Voir B. Palli, Les accords collectifs de secteur des plateformes d’emploi, Revue de droit du travail, 2024.
- 49. On peut aussi s’expliquer ce résultat par d’autres facteurs comme par exemple peut-être la difficulté à recenser et contacter tous les travailleurs concernés.
- 50. Ministère du travail, supra.
- 51. https://www.lefigaro.fr/social/travailleurs-des-plateformes-le-scrutin-est-clos-participation-tres-faible-des-livreurs-et-vtc-20220516 et https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/05/07/les-travailleurs-des-plateformes-vont-elire-pour-la-premiere-fois-leurs-representants-du-personnel_6125124_3234.html
- 52. Voir https://www.arpe.gouv.fr/elections-2024/ : Au total, 12 987 travailleurs indépendants ont pris part aux scrutins. 10 200 (19,96%) dans le secteur des VTC et 2 787 (3,90%) dans le secteur de la livraison.
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